lentes. Lequinio ne conseille pas aux ouvriers de demander l’abrogation de la loi Chapelier qui leur interdit de se coaliser pour élever leurs salaires. Mais il les adjure de former, si je puis dire, une coalition d’insolence pour rabattre l’orgueil des riches.
Le prolétaire ne fermera pas les trous de son manteau, mais à travers son manteau troué sa fierté exigera le respect. Et, s’il le faut, quelques paroles un peu rudes et quelques gestes impressifs enseigneront aux riches les mœurs de l’égalité. L’inégalité sociale tempérée par l’orgueil des sans-culottes, les riches payant en attitudes complaisantes, modestes et doucereuses, la rançon de leur fortune soigneusement protégée ; la société, divisée en deux classes : des riches lâches et dont les pauvres exploiteront la lâcheté ; des pauvres hautains, prenant en grossièretés de propos et de geste la revanche de leur misère d’ailleurs soumise à la loi de propriété : voilà le répugnant idéal que Lequinio nous propose. Tandis que dans la société vraiment unie, le charme de la vie est précisément cette politesse par laquelle tout homme assuré d’être l’égal des autres hommes et que nul n’interprétera en bassesse sa complaisance, s’ingénie à plaire, ici c’est par une humeur farouche que les pauvres adresseront aux riches un rappel continu à l’égalité. Les riches ne descendront pas de leurs équipages, mais le prolétaire en sabots les éclaboussera de son insolence plébéienne pour qu’en sa voiture splendide et crottée l’opulent bourgeois ne s’abandonne pas à l’orgueil. L’insolence des haillons répondant à l’arrogance du luxe : c’est de cette double barbarie que Lequinio compose la civilisation.
Mais encore une fois, en ce miroir grotesque, si la doctrine de Robespierre est déformée, elle garde du moins ses traits distinctifs. Oh ! comme il est temps qu’à travers ces nuées bouffies et décevantes de fausse égalité luise le rayon communiste de Babœuf !
Mais, visiblement, Robespierre n’a caractérisé ce qu’il appelle « la loi agraire » avec tant de sévérité et de force que parce qu’il a senti que les esprits, sous le coup de l’ébranlement révolutionnaire, et sous l’exemple des grandes mutations et transformations de la propriété, pourraient bien concevoir ou rêver une transformation plus profonde qui mettrait toute la terre aux mains de ceux qui la cultivent. Que valait une idée aussi informe encore et à laquelle les plus hardis comme le curé Dolivier ne faisaient encore que des allusions timides et obscures ? Il est impossible et d’ailleurs inutile de le rechercher. Et je ne retiens que l’indice d’un profond travail populaire qui peu à peu creusait le sol et qui pouvait brusquement menacer les racines mêmes de la propriété bourgeoise. Robespierre, à la suite des pages que j’ai commentées, reproduit la pétition des habitants d’Étampes ; il reproduit aussi quelques-unes des notes du curé Dolivier, mais pas la note étendue où il commence à préciser ses vues sur « la propriété foncière partielle » c’est-à-dire sur l’appropriation individuelle de la terre.