Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/450

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pables, et j’atteste ma patrie et l’univers que je n’aurai point contribué aux maux que je vois prêts à fondre sur elle. »

Ainsi, quelque incertaines que fussent les velléités révolutionnaires de la Gironde, Robespierre les condamnait. Sa politique à ce moment était à la fois très défiante et très conservatrice. Il voulait qu’on surveillât de très près la Cour, les généraux, mais qu’on ébranlât le moins possible le système constitutionnel. Au fond, Louis XVI lui apparaissait une garantie nécessaire contre la grande faction des remplaçants. Aller à la République, c’était aller à l’aristocratie ou à la dictature militaire. Deux mois après, au 10 août, la royauté était renversée ; et il fallait bien que Robespierre s’accommodât au régime nouveau. On est tenté de dire que l’esprit des hommes est bien court, et qu’en ses pensées confuses il s’ajuste rarement au mouvement exact des choses.

Beaucoup de prévisions et de raisonnements, beaucoup de craintes et d’espérances, et peu de vérité. L’esprit de l’homme, au feu des événements, est comme du bois vert : beaucoup de fumée et peu de flamme. Mais, au fond, Robespierre, en toute la suite de la Révolution, reste fidèle à la même pensée : interpréter ce qui est dans le sens de la démocratie, en tirer le plus de liberté et d’égalité qu’il se peut, mais éviter le plus possible les secousses et les surprises. En ce sens, et si paradoxal que paraisse ce rapprochement, il est comme Mirabeau : un des plus démocrates et aussi un des plus conservateurs parmi les révolutionnaires.

Mais ni les incertitudes des Girondins déconcertés et penauds, ni la cauteleuse prudence de Robespierre ne suspendirent la marche du drame. L’Assemblée sentait que la Constitution était menacée de toutes parts, d’un côté, par la conspiration contre-révolutionnaire, de l’autre par la poussée démocratique et républicaine. Elle ne savait comment faire face à tant de périls. Elle se résolut à nommer le 17 juin, sur la proposition de Marant, une Commission extraordinaire des Douze, chargée de lui faire un rapport d’ensemble sur l’état de la France : mais dans la discussion même, et jusque dans le décret qui institue cette Commission, se marque l’indécision de l’Assemblée. Elle ne savait si elle devait frapper à droite ou à gauche ; et, en son impuissance, elle semblait annoncer qu’elle frapperait de tous côtés : « L’Assemblée décrète qu’il sera nommé, séance tenante, une Commission de douze membres, pour examiner, sous tous les points de vue, l’état actuel de la France, en présenter le tableau sous huit jours, et proposer les moyens de sauver la Constitution, la liberté et l’Empire. »

Le retour offensif et l’insolence ranimée des feuillants précipitèrent la crise. La chute des ministres girondins avait été le triomphe des « constitutionnels », des feuillants. D’abord, ce sont des hommes à eux qui sont appelés au ministère. Pendant plusieurs jours on put croire que le roi ne trouverait pas de ministres, tant les responsabilités prochaines semblaient effrayantes.