Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/558

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conservés ou déclarés rachetables par les lois antérieures quelles que soient leur nature et leur dénomination, même ceux qui pourraient avoir été omis dans lesdites lois ou par le présent décret, ainsi que tous les abonnements, pensions et prestations quelconques qui les représentent sont abolis sans indemnité à moins qu’ils ne soient justifiés avoir pour cause une concession primitive de fonds, laquelle cause ne pourra être établie qu’autant qu’elle se trouvera clairement énoncée dans l’acte primordial d’inféodation, d’accensement ou de bail à cens, qui devra être rapporté. »

Le grondement populaire du 10 août retentissait ainsi au creux le plus profond des vallées lointaines en une parole de libération. Défendez, paysans, la Révolution et la patrie pour vous défendre vous-mêmes. Au moment où l’Assemblée promulguait ce grand décret, les citoyens commençaient à se consulter, à s’interroger pour la formation toute prochaine des assemblées primaires. Ainsi il y avait des centres d’écho, partout disséminés, qui propageaient irrésistiblement les lois d’émancipation.

Il semble qu’au lendemain du 10 août et comme pour rendre impossible toute tentative de contre-révolution l’Assemblée législative ait voulu résoudre d’un coup toutes les questions qui intéressaient la France rurale. Je viens de noter son grand effort contre les droits féodaux, contre « ces décombres de servitude qui couvrent et dévorent les propriétés » comme le dit le préambule du décret présenté par Mailhe. Le 14 août, François de Neufchâteau souleva coup sur coup la question des biens communaux et celle des biens des émigrés.

Il dit d’abord : « Lorsque l’Assemblée a étendu la faveur ou plutôt la justice des suppressions féodales commencée par l’Assemblée constituante, elle n’a pas rejeté loin du peuple tout le fardeau qui l’accablait. Il existe des biens communaux qui n’appartiennent à personne parce qu’ils sont à tout le monde ; les riches se les approprient. Il est instant de faire cesser cette injustice et partager ces biens aux plus pauvres. En conséquence, je demande que dès cette année, immédiatement après les récoltes, tous les terrains, usages communaux soient partagés entre les citoyens. Les citoyens pourront jouir en toute propriété de leurs portions respectives. Pour fixer le mode de partage, le Comité d’agriculture serait tenu de présenter un projet de décret incessamment. »

Je ne recherche point si la solution proposée par Neufchâteau était la meilleure que l’on pût concevoir alors, et s’il n’aurait pas mieux valu dès cette époque, organiser l’exploitation collective, scientifique et égalitaire des terrains communaux. Mais il est vrai que, dans l’état, les riches en avaient surtout le bénéfice et qu’une répartition immédiate des terres faite aux plus pauvres des habitants était de nature à créer un lien de plus entre la France et la Révolution.