Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/214

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l’histoire ont accompagné vos armes : nous vous en félicitons : vos succès ont dissipé nos inquiétudes mais n’ont aucunement influé sur nos sentiments. Souvenez-vous, Français, que quoique ce témoignage d’amitié ne parvienne qu’à présent, il doit néanmoins porter la date du 27 septembre 1792. (Vifs applaudissements.)

(Signé par ordre : Maurice Margacot, président ; Thomas Hardy, secrétaire.)

Cette adresse est vraiment belle. Elle est profondément anglaise par l’accent religieux qui s’y mêle et où se marque l’influence des dissidents, du parti évangélical, passionné à la fois pour un renouvellement du christianisme et par la liberté politique. Elle l’est encore par le loyalisme subsistant jusque dans une démarche révolutionnaire. Ce n’est pas à la monarchie qu’ils déclarent la guerre, c’est à l’aristocratie. Ils avertissent simplement le roi qu’ils ne se laisseraient pas entraîner par lui dans d’injustes hostilités contre la France.

Il y a dans les paroles de ces hommes de la gravité et de la mesure, pas l’ombre de charlatanisme. Ils savent bien qu’ils ne sont qu’une minorité infime encore et ils le disent : mais ils espèrent en la force croissante du mouvement. Ils ne peuvent laisser entrevoir à la France le concours armé même des Anglais les plus dévoués. Mais ils s’efforceront tout au moins d’imposer jusqu’au bout la neutralité à leur souverain et à leur ministre. Dès lors, quand ces esprits si mesurés d’ailleurs, et si fermes, laissent éclater leur ferveur d’enthousiasme, quand ils affirment leur foi dans l’universelle liberté et l’universelle paix, quand, sans la moindre réserve ou jalousie nationale, ils font honneur à la France de ce sublime espoir, il est impossible de n’être pas ému et de ne pas admirer la grandeur du mouvement humain que la Révolution développait.

Oui, il n’y a là encore qu’un germe débile : oui, cet éveil de démocratie sera comme écrasé en Angleterre par toutes les forces conservatrices. Mais ce n’est point en vain qu’une partie de la conscience anglaise aura été touchée par la passion de liberté et d’égalité qui rayonnait alors de la France. Ce n’est point en vain que les deux peuples ont rêvé un moment l’universelle paix par l’universelle démocratie. C’est le prolétariat, c’est la démocratie sociale qui recueillera et réchauffera ces germes.

La Convention ordonna que l’adresse fût traduite, et envoyée aux départements et aux armées. Par son président Hérault de Séchelles elle fit une réponse prudente et grave, « Paris, le 10 novembre 1792, l’an Ier de la République : Anglais et citoyens du monde, la Convention nationale a entendu avec une vive sensibilité le vœu éclatant et généreux des citoyens anglais qui s’unissent de cœur à ses travaux : la pensée de 6 000 Bretons dévoués hautement à la cause de l’espèce humaine, est sans doute aussi dans le cœur de tous les hommes libres de l’Angleterre.