Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/614

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« Peut-être vous a-t-on dit qu’il serait difficile de détacher de l’Empire allemand les pays de ce côté-ci du Rhin. Je demande si on n’a pas déjà détaché de l’Allemagne et donné à la France l’Alsace et la Lorraine… (En ce qui touche la Constitution) l’expérience démontre par des exemples innombrables que dans les grands et décisifs moments les choses moyennes et médiocres, qui n’osent être qu’à demi, qui ne sont ni le chaud ni le froid, ne réussissent qu’à blesser tous les partis et à tout mettre en fermentation. N’êtes-vous point assez avertis par l’exemple de la France elle-même et du parti prétendu modéré de la Cour et des Feuillants ? Souvenez-vous des petits intrigants à courte vue, qui jouaient toujours à couvert, forgeaient des plans secrets et d’artificieuses intrigues, qui partout se glissaient et rampaient pour ameuter obscurément les esprits, semant les calomnies, les menaces, les écrits outrageants et cherchant à se créer des adhérents par la corruption. Souvenez-vous que ceux-ci enfin ont essayé, le poignard à la main, de déchirer le vêtement de leur mère, de leur patrie, de leur France. C’est là le but et la fin du modérantisme qui toujours, avec des mots endormeurs, une voix douce, un regard angélique, cherche à vous séduire pour vous enlacer et vous étouffer.

« Je ne dis pas trop : vous perdrez tout si vous ne prenez pas tout, si vous ne voulez pas de tout votre cœur être pleinement libres. La chose est claire. Qui vous garantira votre fade et médiocre compromis, votre projet modéré et feuillantin, votre prince élu, vos États de créanciers et de nobles, vos deux Chambres, oui, qui vous garantira tout cela ? Ce ne sera pas le cher et saint Empire allemand, qui ne peut même plus se sauver lui-même et qui est à bout. Ce ne sera pas le Reichstag de Regensburg, réduit à l’inaction. Ce ne sera pas la Prusse ou l’Autriche qui ne se soucient guère de vous.

« Ce ne seraient pas les princes auxquels vous voulez vous confier. Vous auriez là vraiment une belle caution. Ceux qui toujours se servent de l’Empire allemand comme d’un épouvantail, ne songent pas qu’ils ont oublié de nous dire comment l’Empire allemand négociera avec nous au sujet de la nouvelle Constitution modérée. Avec lequel de nous entrera-t-il en conversation ? Reconnaîtra-t-il préalablement notre droit de nous donner une Constitution nouvelle ? Nous avons vu le contraire à Liège, et je vais plus loin : je dis que l’Empire allemand ne peut pas, avec ses principes, s’entretenir avec nous sur cet objet ; que la forteresse de la Constitution impériale, incapable de toute amélioration, de tout changement, n’est plus qu’une pauvre chambre de décharge, toute branlante et tarée, où on peut faire un trou rien qu’en la touchant du bout du doigt.

« Cette vieille pièce de décharge et de débarras est hantée maintenant par un fantôme décevant, qui se donne pour l’esprit de la liberté allemande ; mais c’est le diable de la servitude féodale, comme on peut le reconnaître aux énormes dossiers qu’il traîne avec lui et au bruit de chaînes qui accompagne