Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/669

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

retrouve dans le produit industriel que la valeur du travail qu’il y a incorporé, ils font œuvre de réaction : ils risquent d’arrêter l’essor de l’industrie et d’immobiliser la France dans un capitalisme purement agricole. C’est la théorie confuse et trouble d’un peuple qui n’est pas encore sûr de sa voie, et qui ne sait guère comment concilier avec sa traditionnelle puissance agricole les forces nouvelles de production et de capitalisme multiforme qu’il sent s’éveiller et grandir en lui.

Au contraire, le large système d’Adam Smith répond à l’assurance d’esprit d’un peuple mûr pour la grande industrie et pour la maîtrise commerciale des marchés du monde. Sans doute, il proclame l’importance extrême de l’agriculture, et si l’Angleterre a une avance économique marquée, c’est, selon lui, parce qu’elle a traité mieux que toute autre nation la classe des cultivateurs. Mais cette agriculture progressive doit être un soutien et non un obstacle pour l’industrie.

Adam Smith constate que c’est la division croissante du travail qui en accroît presque indéfiniment la productivité. Or, c’est surtout dans l’industrie et dans la grande industrie des grandes villes que cette division du travail s’accentue. C’est dans les campagnes qu’elle est le moins poussée, le même homme y pourvoyant aux besognes les plus diverses.

« Les ouvriers de la campagne sont presque partout dans la nécessité de s’adonner à toutes les différentes branches d’industrie qui ont quelque rapport entre elles par l’emploi des mêmes matériaux. Un charpentier de village confectionne tous les ouvrages en bois, et un serrurier tous les ouvrages en fer. » Ainsi c’est dans l’industrie des villes, c’est dans les grandes agglomérations humaines que la division du travail, condition de tout progrès, est poussée le plus loin.

De même, bien loin de déclarer l’industrie stérile, à la manière des physiocrates, parce qu’elle ne fait que reproduire la valeur du travail dépensé, Adam Smith fait du travail la mesure de toute valeur, même agricole.

« Il paraît évident, dit-il, que le travail est la seule mesure universelle aussi bien que la seule exacte des valeurs, le seul étalon qui puisse nous servir à mesurer les valeurs des différentes marchandises à toutes les époques et dans tous les lieux. »

Sans doute, il n’a pas poussé l’analyse aussi loin que le fera Marx, et sa conception de la valeur est beaucoup moins systématique. Ce n’est pas du seul travail qu’il dérive le profit et la rente. Il considère, au contraire, que la rente ou fermage, le profit du capital et le travail sont les trois éléments du prix d’une marchandise.

« Dans le prix du blé, par exemple, une partie paye la rente du propriétaire, une autre paye les salaires ou l’entretien des ouvriers, ainsi que les bêtes de labour et de charroi employées à produire le blé, et la troisième