Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

peine est contre mes principes ; je ne la voterai jamais. Je ne puis voter la réclusion que nulle loi ne m’autorise à voter. Je vote pour la peine la plus grave dans le Code pénal et qui ne soit pas la mort. Je demande que la réflexion de Mailhe soit discutée, car elle le mérite. »

Mais Danton, si conciliant d’habitude, lui qui bientôt, attaqué à fond par la Gironde, ne se décidera qu’à la dernière extrémité à marcher sur elle, à quel mobile obéissait-il en faisant de l’énoncé de son opinion une sorte de bref réquisitoire contre les Girondins ?

« Je ne suis point de cette foule d’hommes d’État qui ignorent qu’on ne compose point avec les tyrans, qui ignorent qu’on ne frappe les rois qu’à la tête, qui ignorent qu’on ne doit rien attendre de ceux de l’Europe que par la force de nos armes. Je vote pour la mort du tyran. »

Il pensait sans doute que puisque la guerre générale était inévitable, il fallait y entrer avec audace, avec défi, et donner au jugement du roi toute sa valeur révolutionnaire. Il en voulait sans doute à la Gironde de ces combinaisons incertaines et impuissantes qui n’arrêtaient pas les événements, mais qui contrariaient l’élan de la Révolution.

Comme pour justifier ce ton dédaigneux et hautain de Danton, Brissot formule son opinion en un discours tout plein de découragement et de détresse. Cet honnête homme, simple de mœurs et affairé, d’un esprit assez étendu, mais inquiet, superficiel et léger, était débordé par son œuvre. Il avait déchaîné la guerre dans l’espérance candide qu’elle aurait, en quelques mois, résolu le problème de la Révolution : elle aurait démasqué le roi, « déroyalisé la Constitution » et groupé autour de la France libre les peuples aisément affranchis. Il avait pratiqué en Amérique les quakers, les hommes de paix, et c’est un peu avec des idées et des sentiments de quaker qu’il avait ouvert la guerre, comme le court et nécessaire prologue de la paix définitive dans l’universelle liberté. Dans cette idylle, nul doute que la nation, débarrassée de la trahison et de la tyrannie, ne fît grâce au moins de la vie au roi. Et voilà que le vent de guerre soufflait en tempête, voilà que le tourbillon de mort et de sang s’élargissait, voilà que les peuples, abusés par leurs tyrans ou effrayés par la violence libératrice de la Révolution, se détournaient de la France ; voilà que dans cet orage toutes les passions de colère et de haine, toutes les jalousies et tous les soupçons furieux se déchaînaient, et la grande mer apaisée et lumineuse qui devait aller de la France à l’Amérique, envelopper et baigner l’Angleterre, s’insinuer doucement dans toutes les déchirures de tous les rivages, était un océan aveugle et trouble, sombre comme la haine et sanglant comme la mort. Brissot, désemparé et effrayé, tentait maintenant de limiter son propre ouvrage, de contenir et de refouler la guerre :

« La Convention a rejeté l’appel au peuple et, je le dis avec douleur, en protestant de mon respect pour la Convention, le mauvais génie qui a fait