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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/108

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ce caractère imposant de désintéressement et de magnanimité dont je désirerais l’environner ; enfin elle associe à votre jugement la nation entière. »

Vaine combinaison qui reproduisait cet appel au peuple déjà écarté ! C’est chose remarquable comme ceux qui ne voulaient pas de la mort ne surent pas s’entendre pour adopter une formule et une résolution uniques. Sans doute ils auraient entraîné ainsi plus d’un hésitant, Brissot termine par un retour mélancolique et découragé sur lui-même :

« Mon opinion sera calomniée, c’était le sort réservé à mon opinion, quelle qu’elle fût. Je ne répondrai aux calomnies que par une vie irréprochable, car je défie ici mes adversaires de citer et de prouver un seul fait ; j’y répondrai par mon honorable pauvreté, que je veux léguer à mes enfants, et peut-être le moment n’est-il pas loin où ils recueilleront ce triste legs. »

Le pauvre Brissot, dont la famille logeait dans un modeste appartement d’une rue voisine du château de Saint-Cloud, était accusé de l’avoir installée dans le château, et cela l’assombrissait. Il avait une façon un peu geignante et puérile de repousser la calomnie, et le ressouvenir de ces polémiques misérables, à l’heure même où il juge un roi, a quelque chose d’un peu déplaisant. Mais, lui aussi, voyait venir l’ombre de la mort.

Gensonné lança un brûlot, mais qui devait bientôt se retourner contre la Gironde :

« Je demande que la Convention, afin de prouver qu’elle n’admet point de privilèges pour les scélérats, enjoigne au ministre de la Justice de poursuivre, par devant les tribunaux, les assassins et les brigands des 2 et 3 septembre. »

Thomas Paine, qui avait été envoyé par la ville de Calais à la Convention, dit que sa haine pour les rois était connue, et aussi sa compassion pour tous les infortunés, et que sachant que la condamnation à mort risquait d’aliéner à la France bien des âmes, il votait la détention jusqu’à la paix.

L’appel nominal avait duré jusqu’à jeudi soir sept heures, et avant que le résultat en soit proclamé, je veux joindre au témoignage que j’ai déjà donné du Patriote français, celui d’un autre journal dévoué aussi à Roland et à la Gironde, le Moniteur universel. Lui aussi atteste que c’est dans le plus grand calme, sans qu’aucune tentative de pression eût été faite sur un seul député, que la Convention rendit son jugement :

« Jamais, dit-il dans le numéro du 20 janvier, on ne vit moins de groupes, moins de motions et moins d’appareil pour les réprimer ou les contenir… Quelle délibération fut plus calme et aussi longue que le procès de Louis ? Quelle question tint plus directement aux opinions et aux passions opposées, aux affections et aux intérêts divers, enfin à toutes les causes naturelles d’agitation ? La force armée est à peu près inorganisée, et l’on circule sûrement, de nuit comme de jour, dans tous les réduits d’une ville immense. … Les tribunes ont cessé d’insulter à la nation entière, etc. »