Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/109

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Mais c’est dans la Convention même, pendant que les secrétaires dépouillaient le scrutin, qu’il y eut une émotion violente et effervescente. Le bruit se répandit que les suffrages étaient également partagés, qu’une voix suffirait à sauver Louis. Duchastel, malade, et qui n’avait pas pris part au premier appel, arriva en robe de chambre et demanda à voter. On savait qu’il était contre la mort. Allait-on l’admettre ? La gauche cria que les secrétaires l’avaient fait mander, qu’ils avaient abusé de ce qu’ils pouvaient connaître le résultat avant la Convention pour tenter ce dernier effort et faire pencher en faveur de Louis la balance immobile. Qui sait s’ils n’avaient pas profité aussi de l’incertitude et de l’ambiguïté de certains votes pour manipuler les suffrages ? Voilà justement Manuel qui sort de la Convention en emportant une liste. Que signifie cela ? Quoi ! une intrigue du bureau sauverait le tyran ! Quoi ! tous ses crimes seraient impunis ! Quoi ! le sang de ses victimes ne serait pas vengé, et l’Europe se rirait d’une Révolution débile qui n’ose pas frapper la trahison et qui restaure, par une fausse pitié qui est encore de l’adoration, l’idole de la monarchie ! Non, non, nous sauverons la liberté ! nous sauverons la patrie !

Cet émoi de la Montagne était vain, car la Majorité avait condamné Louis à mort sans condition et sans sursis. Le président (c’était Vergniaud) proclama à dix heures du soir le résultat, légèrement rectifié depuis.

En fait, et vérification faite, voici comment les votes s’étaient répartis : sur les 719 députés : il y avait eu 15 absents par commission, 7 malades, 5 s’étaient volontairement abstenus. Il y avait eu donc 721 votants et la majorité absolue était de 361. 2 avaient voté pour les fers, 286 pour la détention, 2 le bannissement à la paix, ou pour le bannissement immédiat, ou pour la réclusion (quelques voix ayant ajouté : la peine de mort conditionnelle, si le territoire était envahi), 46 avaient voté pour la mort avec sursis, soit après l’expulsion des Bourbons, soit à la paix, soit à la ratification de la Constitution ; 361 avaient voté pour la mort ; et 26 avaient voté pour la mort, en demandant une discussion sur le point de savoir s’il conviendrait à l’intérêt public qu’elle fût ou non différée et en déclarant leur vote indépendant de cette demande.

Ainsi, au total, il y avait, pour la détention ou la mort conditionnelle 334 voix, et pour la mort sans condition, 387. Absents ou non votants, 28. Quel intérêt a donc M. Dareste, historien conservateur et consciencieux, à négliger dans son calcul les 26 qui, tout en demandant qu’il fût statué sur le sursis, votèrent la mort sans condition ? Lui est-il agréable de constater que la majorité pour la mort fut tout juste égale à la majorité absolue, à 361 ? Mais le Girondin Salle lui-même reconnut en séance, le 17 au soir, que la majorité était d’au moins 40 voix ; en fait, elle fut de 53 voix. Plus de la moitié des 749 Conventionnels vota la mort. Mais en vérité, est-ce que c’est par une évaluation numérique que se jugent ces grands et terribles événements ?