Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/125

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rieure de la Révolution, flottante, incertaine et téméraire depuis Valmy, une direction plus sage, c’est que Marat ne craignait pas de soutenir une politique de prudence. Pendant tout le mois de décembre, tout ce qu’il écrit sur les affaires extérieures de la France est contraire à l’entraînement révolutionnaire du décret du 15. Il écrit, le 27 décembre :

« La guerre dont l’Angleterre semble nous menacer… vient uniquement du tort que l’ouverture de l’Escaut fera au commerce de ces insulaires ; ainsi, chez eux comme chez nous, l’hypocrisie s’empresse de couvrir du manteau de l’humanité le désespoir de l’avarice… Je crois être le seul député de la Convention qui n’ait pas voté, pour la réunion de la Savoie à la France ; non que je n’en fusse enchanté au fond, mais parce que le moment n’était pas encore venu ; je voyais la chose en politique, et je savais avec quelle adresse les ennemis de la Révolution s’en serviraient pour accuser les Français d’ambition, et soulever contre eux beaucoup de puissances qui n’auraient pris aucune part à leurs dissensions intestines. C’est ce prétexte qu’ont fait le plus valoir dans le Sénat britannique les ennemis de la liberté, pour exciter le Parlement à déclarer la guerre à la France. »

Et pour les choses de Belgique, Marat allait beaucoup plus loin que Robespierre dans le sens conservateur. Il y avait en Belgique ce qu’on pourrait appeler le parti clérical de l’indépendance. Ce parti détestait la domination étrangère, surtout parce que les souverains d’Autriche avaient troublé les habitudes, bouleversé les traditions, et notamment porté atteinte à l’influence traditionnelle du clergé. Ces conservateurs nationaux ne voulaient nullement fonder une société démocratique et laïque analogue à la société révolutionnaire française. Ils dénonçaient et calomniaient le petit groupe des démocrates, des vonckistes, qui voulaient introduire en Belgique le droit révolutionnaire. Or, pendant tout le mois de décembre, Marat accueille complaisamment les communications de ces réacteurs.

Chose curieuse, et qui prouve à quel point ces hommes étaient éloignés de la Révolution : Dumouriez, qui sera bientôt accusé par les révolutionnaires de France de trop ménager les préjugés et le fanatisme des Belges afin de se créer parmi eux une clientèle, est accusé par les cléricaux de Belgique de trop favoriser la Révolution et de violenter les esprits. Dans son numéro du 3 décembre, Marat dit :

« Ce n’est pas tout : Dumouriez s’est déclaré ouvertement contre les partisans de Vandernoot, les mortels ennemis de la maison d’Autriche, et pour les vonckistes, tous partisans des ordres privilégiés. »

C’est sous ce jour étrange que Marat voyait les partis. Dans son numéro du 18 décembre, trois jours après le vote du décret, il insère une lettre de Belgique, toute conservatrice :

« Voilà bien du grabuge dans la Belgique. D’où vient tout cela ? Du despotisme des généraux qui veulent donner des lois à un peuple, à qui ils ne