Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

devaient donner que la liberté ; les Flamands sont bons, mais on ne doit pas les heurter de front, et on ne doit pas croire qu’ils ont désiré l’expulsion des assassins autrichiens pour recevoir la loi d’un parti qu’ils ont chassé lors de la dernière révolution (les vonckistes démocrates), dont ils ne veulent plus, et qui ne s’y maintient que par la force des armées françaises. Est-ce donc là l’intention des Français ? Ont-ils envoyé leurs armées pour conquérir les Belges, ou pour chasser leurs tyrans ? Si, comme l’ont déclaré les représentants des Français, la France ne veut point faire de conquêtes, ni s’immiscer dans le gouvernement des peuples où ils iront porter la liberté, de quel droit leurs généraux prétendent-ils forcer les Belges à accepter des lois dont ils ne veulent pas, et qu’une poignée d’agitateurs veulent leur donner ? Ces agitateurs auraient-ils promis aux généraux, surtout à l’ambitieux Dumouriez, de le faire duc de Brabant s’il réussit à terrasser le véritable parti du peuple, que ces mêmes agitateurs traitent de fanatique ? Avouez que si les Belges sont libres, c’est le peuple qui est souverain, c’est lui qui peut conserver son antique Constitution ou la changer, sans y être contraint par la force des armes. Il est de l’intérêt des Français d’avoir les Belges pour amis et pour alliés, c’est un rempart pour la République française, et vos généraux emploient tous les moyens pour opérer le contraire. Gare la bombe ! si elle vient à crever dans la Belgique, ses éclats pourraient bien faire brèche en France. Veillez donc sur les généraux qui commandent, leurs vues ne sont pas pures. »

Ainsi le parti catholique belge menaçait la France révolutionnaire de défection, si on touchait aux privilèges des prêtres. Pour ouvrir à leurs doléances l’Ami du Peuple, ces cléricaux habiles flattaient la haine de Marat contre Dumouriez, sa défiance à l’égard des généraux, et l’instinct de prudence conservatrice qui se mêlait presque toujours en lui à l’exaspération révolutionnaire.

Mais quelle confusion d’idées, dans le parti révolutionnaire français, au sujet de la politique extérieure ! Au moment où la guerre va s’élargir, le décret du 15 décembre subsiste, il n’est pas révoqué et officiellement désavoué, mais il est discrédité par les réserves de Brissot, de Condorcet, de Robespierre, par la politique toute contraire de Marat. Que veut vraiment la Révolution, et comment de ce chaos débrouiller un plan de politique extérieure ? Ce plan, Danton l’apportait, très net et très réaliste. Jamais il ne fut plus maître de sa pensée, jamais il n’eut plus de confiance en lui-même. Au dedans, il voulait réconcilier les partis de la Révolution. Il voulait obtenir des uns et des autres, dans l’intérêt de la liberté et de la patrie, les sacrifices nécessaires. Aux Girondins il demandait de se séparer de l’affolé Roland, qui semait la panique et la calomnie. Aux Montagnards, il demandait de remplacer au ministère de la guerre Pache, brouillé avec Dumouriez dont Danton croyait avoir besoin, et peut-être incapable de conduire une administration