Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais les Jacobins tiraient cette conclusion qu’ailleurs, aux Gravilliers et dans les quartiers du contre, le mouvement était suscité contre la Révolution.

Hébert se fit en cette campagne l’allié des Jacobins : il servit leur tactique avec sa verve grossière et sa fantaisie impudente. Il poussa l’explication jacobine jusqu’à la caricature. À l’en croire, la journée du 25 février n’aurait été qu’une mascarade aristocratique, une émeute masquée où les émigrés étaient déguisés en sans-culottes (numéro 219). Ce sont d’ailleurs, comme de juste, les « brissotins » qui ont organisé tout le scénario. Ils ont d’abord « fait enlever le pain de chez les boulangers » pour créer la panique et prétexter les attroupements.

« Cette bande de mandrins ne s’est pas découragée et, avec un renfort de guinées, elle a monté un nouveau coup. Des ci-devant marquis habillés en charbonniers et perruquiers, des comtesses travesties en poissardes, les mêmes qui voulaient crier grâce le jour où Capet a perdu le goût du vin, se sont dispersés dans les faubourgs, dans les halles et les marchés, pour exciter le peuple à la révolte et au brigandage : « Faisons main basse sur les boutiquiers, ont-ils dit : forçons les épiciers à nous donner le sucre et le savon au prix que nous voudrons. Il y a trop longtemps que nous souffrons, nous payons tout au poids de l’or. Il est temps que cela finisse. »

« Les pauvres badauds ont été assez dupes pour se laisser prendre dans le piège comme la femme d’Adam ; ils ont cru le serpent et ils ont mordu à la pomme. Conduits par ces poissardes de nouvelle fabrique, ils ont foncé sur toutes les boutiques, ils se sont fait délivrer les marchandises aux prix qu’ils ont voulu.

« Badauds, badauds éternels, vous serez donc toujours dupes des fripons ? Tonnerre de Dieu ! ce n’est pas ma faute : Je vous avertis assez souvent de vous tenir sur vos gardes. Pauvres gens qui ne voyez pas plus loin que votre nez, vous n’avez pas compris, en vous livrant à ces excès, que vous crachiez en l’air et que ça retombait sur vos faces à gifles. Quoi ! vous déclarez la guerre aux accapareurs, et c’est sur les pauvres détaillants, qui souffrent plus que vous des accaparements, que vous vous êtes vengés ! De quel droit avez-vous voulu mettre un prix à la marchandise de votre voisin ? Souffririez-vous que l’épicier du coin en mît un sur votre journée ? Que va-t-il advenir de votre belle équipée ? Que personne ne voudra vous approvisionner, et que dans peu de jours vous manquerez de tout.

« Ce n’est pas par amour pour les boutiquiers que je parle ; je crois que, pour la plupart, ils sont mauvais citoyens et qu’ils méritent ce qui leur arrive : mais c’est pour vous mes amis les sans-culottes, que l’on égare : on veut, foutre, vous diviser au moment où vous devez être tous frères. On veut vous faire manger entre vous le blanc des yeux quand il faut marcher vers l’ennemi. Foutez d’abord le trac aux brigands couronnés et à leurs esclaves ;