Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/245

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commissaires de Belgique, dans une lettre du 11 mars, constatent ce navrant état de choses :

« Les généraux ont exécuté le plan que nous avons dit de se retirer entièrement sur Louvain, en laissant seulement l’avant-garde vers Tillemont… Ils se croient, dans l’état où ils sont, à l’abri de toute surprise. Ils n’ont voulu prendre entre eux aucun plan ultérieur, s’en rapportant entièrement à Dumouriez, qu’ils ont sollicité de venir… Vous voyez, dans la détermination que les généraux ont prise de tout suspendre jusqu’à ce que Dumouriez eût prononcé, un effet de la composition extraordinaire du corps de troupes qui est rassemblé sur Louvain. Il est formé des trois armées des Ardennes, du Nord, de la Belgique, ayant chacune leurs généraux, savoir : Valence, Miranda, Lanoue, chacune leur état-major. Les trois généraux, foncièrement égaux en pouvoir, ne sont pas d’un caractère qui s’allie facilement l’un avec l’autre. Les délibérations sont longues et difficiles à consommer. L’exécution éprouve les mêmes entraves de la part des trois états-majors qui doivent y concourir également, mais qui sont indépendants l’un de l’autre. Le défaut d’harmonie entre les généraux serait d’une conséquence funeste s’il subsistait. La présence de Dumouriez va le faire cesser, il donnera son plan que tous sont également disposés à suivre. »

Mais quelle tentation pour Dumouriez ! Quel mélange, en son âme, de douleur et d’orgueil !

« Les commissaires de la Convention, écrit-il dans ses Mémoires, s’en allèrent précipitamment à Paris, y firent un rapport si alarmant, peignirent si vivement la consternation des soldats, qu’il fut décidé que le général Dumouriez pouvait seul remédier à des dangers aussi éminents et sauver l’armée, qu’on lui envoya l’ordre le plus absolu d’abandonner l’expédition de Hollande, et d’aller sur-le-champ se mettre à la tête de la grande armée. Il reçut cet ordre le 8 au soir, et il partit le 9 au matin, le désespoir dans l’âme. »

Oui, c’était une tentation funeste, car le général déjà désespéré se disait en même temps qu’il était la seule ressource de la France, que sans lui elle ne pouvait rien. Ainsi se déposent peu à peu dans un cœur d’homme les éléments troubles dont se forme la trahison.

Mais quel contraste entre la gravité de la crise et les vagues propos du journal girondin ! Chose curieuse ! Il semble que Brissot, qui avait des amis pourtant au Conseil exécutif provisoire comme au Comité de défense générale, et qui se flatte toujours d’être bien renseigné, parle en ce moment dans le vide. Le Patriote français du 9 mars (qu’on remarque cette date) écrit :

« À portée de savoir la vérité, nous pouvons attester, d’après les hommes instruits des faits, que si Liège est évacué, Liège n’est pas pris (ou du moins on n’en sait rien), que si l’ennemi peut marcher sur Liège, il peut aussi, par cette marche, s’exposer à être battu et qu’ainsi l’on peut encore espérer pour cette ville. Nous pouvons attester, d’après les gens de l’art, qu’il est impos-