Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/261

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dans l’île de la liberté, et nous avons brûlé le vaisseau qui nous y a conduits. »

« Pour vaincre les légions innombrables de nos ennemis, le premier point est d’être unis entre nous. L’union eût infailliblement succédé dans le Sénat national aux discussions qui l’agitent encore, s’il eût été purgé des complices du tyran, des intrigants mêmes qui ont cherché tant de fois à raffermir son trône aux dépens de la liberté publique. Mais il avait été fanatisé, et persuadé que dénoncer ceux qui ont coopéré à ses attentats ne l’eût pas sauvé lui-même, il a gardé le silence, et il a voulu paraître comme un martyr. »

Ainsi, Marat, si resserré d’habitude en farouche défiance, s’ouvre à l’espérance. Il n’est plus comme isolé dans une cave obscure ; il est en communication avec le vaste peuple de la Révolution, sage et fort. L’horizon est plus ardent qu’au jour si lointain déjà de la Fédération ; mais il est aussi ample, et même, malgré les orages qui l’ont bouleversé, il paraît presque aussi serein : c’est l’expression même de Marat. Son vœu est pour l’union. Sans doute il reste encore tout frémissant de sa lutte contre la Gironde : il ne pardonne point aux hommes d’État d’avoir essayé de sauver le roi, et il regrette que Louis XVI, dont il suppose qu’ils ont été les complices actifs, ne les ait pas dénoncés avant de mourir. C’eût été fini : les intrigants auraient disparu avec le tyran et la Convention enfin unie eût fait face aux ennemis du dehors. Même avec les Girondins, Marat, à cette heure auguste et apaisée, semble espérer un rapprochement : et dans ce même numéro du 25 janvier, il conclut ainsi :

« Les coups sous lesquels tomba Pelletier ont déchiré le voile, et ces poignards que feignaient de redouter les factieux n’ont plus paru dirigés que contre le sein des amis de la patrie. Dans son sang ont été lavées les nombreuses calomnies si longtemps répandues contre les défenseurs de la liberté. Atterrés par sa chute, nos lâches détracteurs sont réduits au silence. Puissent leurs diffamations, leurs cabales, leurs menées, n’être que l’effet de la prévention, que le fruit d’un égarement passager, et non d’un système réfléchi ou de combinaisons atroces ! Puissent sur son cercueil être déposées toutes les dissensions qui ont divisé ses collègues ! Puisse sa mort faire renaître dans leurs cœurs l’amour du bien public, et cimenter la liberté ! Ah ! s’il est vrai que l’homme ne meurt pas tout entier, et que la plus noble partie de lui-même, survivant au delà du tombeau, s’intéresse aux choses de la vie, ombre chère et sacrée, viens quelquefois planer au-dessus du Sénat de la nation que tu ornais de tes vertus, viens contempler ton ouvrage, viens voir tes frères unis concourant à l’envi au bonheur de la patrie, au bonheur de l’humanité. »

Certes, Marat n’est pas à bout de ses forces de colère et de haine. Et à mesure que l’intrigue girondine, un moment accablée, s’agite de nouveau, il s’exaspère.

« Les députés amis de la paix, écrit-il le 28 janvier, s’étaient flattés que