Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/284

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vous réservez pas cette faculté. Après un tel aveu, je vous somme tous, citoyens, de descendre dans vos consciences. Quel est celui d’entre vous qui ne sent pas la nécessité d’une plus grande cohésion, de rapports plus directs, d’un rapprochement plus immédiat, plus quotidien entre les agents du pouvoir exécutif révolutionnaire, chargé de défendre la liberté contre toute l’Europe, et vous qui êtes chargés de la direction suprême de la législation civile et de la défense extérieure de la République ? Vous avez la nation à votre disposition, vous êtes une Convention nationale, vous n’êtes pas un corps constitué, mais un corps chargé de constituer tous les pouvoirs, de fonder tous les principes de notre République ; vous n’en violerez donc aucun, rien ne sera renversé si, exerçant toute la latitude de vos pouvoirs, vous prenez le talent où il existe, pour le placer partout où il peut être utile. Si je me récuse dans le choix que vous pourrez faire, c’est que dans mon poste, je me crois encore utile à pousser, à faire marcher la révolution, c’est que je me réserve encore de dénoncer les ministres qui, par malveillance ou par impéritie, trahiraient notre confiance. Aussi mettons-nous bien dans la tête que presque tous, que tous nous voulons le salut public. (Vifs applaudissements.) Que les défiances particulières ne nous arrêtent pas dans notre marche, puisque nous avons un but commun. Quant à moi, je ne calomnierai jamais personne, je suis sans fiel, non par vertu, mais par tempérament. La haine est étrangère à mon caractère. Je n’en ai pas besoin. Ainsi, je ne puis être suspect même à ceux qui ont fait profession de me haïr. Je vous rappelle à l’infinité de nos devoirs. Je n’entends pas désorganiser le ministère. Je ne parle pas de la nécessité de prendre des ministres dans votre sein, mais de la nécessité de vous en réserver la faculté. »

C’était un magnifique appel à la concorde et à l’action. C’était promettre à la Gironde que si elle voulait abdiquer l’esprit de secte et d’exclusion, elle aurait sa part dans le ministère nouveau, dans le ministère de salut public que formerait la Convention. Comment Robespierre accueillit-il l’initiative hardie de Danton ? Il se garda bien de formuler sa pensée avec la même netteté que Danton : il n’avait pas ce courage de clarté. Mais au fond, il marcha dans le même sens. Lui aussi sentait la nécessité croissante, pour la Révolution, d’avoir un gouvernement, de devenir un gouvernement. Dès le 10, et avant même que Danton eût esquissé sa motion, Robespierre met en contraste la forte organisation du pouvoir exécutif chez les ennemis de la Révolution et la dispersion du pouvoir révolutionnaire.

« Chez nous le Conseil exécutif presque isolé communique avec vous, non seulement par les moyens des comités, mais par celui de tel ou tel individu plus ou moins intimement lié à telle ou telle partie du ministère. Les comités se saisissent d’une affaire. Sur leur rapport, vous prenez des décisions précipitées. Ainsi vous avez déclaré la guerre tantôt à un peuple, tantôt à un autre, sans avoir consulté quels étaient vos moyens de soutenir vos ré-