Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/30

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Enfin, il avait contracté depuis trois ans une sorte de duplicité. Il s’était donné l’air d’accepter la Constitution tout en la trahissant. Mais toujours, dans ce mensonge, il y avait eu quelque chose d’amorti et d’étouffé. Louis XVI avait cru, en ne poussant jamais à bout une seule de ses pensées contradictoires, s’absoudre lui même du reproche de perfidie. Il avait vécu en une sorte d’ambiguïté blafarde, en un horizon fantastique, étrange et brouillé où la royauté qui se couchait à l’Occident et la souveraineté populaire qui se levait à l’Orient, avaient mêlé leurs rayons et leurs ombres. Et cette lueur double, voilée et équivoque, ce demi-jour un peu éteint, vacillant et faux, étaient restés dans sa pensée. Il n’était plus capable, même quand sa vie était en jeu, même devant ses sujets d’hier, devenus ses juges, d’un accès de sincérité violente et simple. Déjà le mensonge, cette mort anticipée, avait fait de lui presque une ombre.

Les Girondins eurent l’impression que cette séance, si pâle qu’elle fût, avait créé de l’irréparable ; aucun incident n’avait surgi qui permît de suspendre, d’ajourner ou même de ralentir la marche du procès. Le roi n’avait excité qu’un intérêt très faible. La Montagne, résolue à le perdre et sachant qu’elle le tenait, le regardait sans colère. Marat, dans sa feuille, affectait, comme on l’a vu, de parler de lui sans violence. Il louait Malesherbes d’avoir courageusement accepté la défense.

Mais c’était là la sérénité abrupte et farouche d’un parti qui savait que la mort était à ses ordres, et qui ne prenait plus la peine de haïr. Les dénégations évidemment mensongères du roi, qui refusa presque toujours de reconnaître sa signature au bas des documents qu’on lui présentait, provoquèrent quelque mépris. Elles détruisirent l’impression favorable produite d’abord par son apparence de bonhomie tranquille et de calme dans le danger ; elles découvraient le fond stagnant et corrompu de mensonge permanent qui dormait sous cette apparente simplicité. Ainsi, le procès allait fonctionner irrésistiblement, et la terrible machine, que les Girondins eux-mêmes, tout en la redoutant, avaient dû mettre en action, ne s’arrêterait plus : d’un glissement doux et presque silencieux elle trancherait enfin la vie du roi. Grand triomphe pour la Montagne qui avait su vouloir, et qui bénéficiait de toute action réelle. Grande défaite pour la Gironde qui ne bénéficiait même plus des actes auxquels elle participait, parce qu’elle paraissait dominée et traînée par la force des événements.

Buzot tenta de réagir et de faire encore une diversion par une manœuvre latérale. Il demanda aussitôt que le duc d’Orléans fût banni. Maintenant qu’il était certain, déclara-t-il, que le roi disparaîtrait, c’est de la disparition de la royauté elle-même qu’il fallait s’assurer. Or, Louis XVI mort ou écarté, le duc d’Orléans devenait, nécessairement et quoi qu’il voulût, un prétendant au trône. Il avait dans les veines le sang des Bourbons, et il avait su en même temps caresser les partis populaires. Quoi de plus dangereux qu’un