Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/309

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à Paris ; on n’y fit même rien d’approchant. Cependant, les choses en étaient à un point que l’on disait hautement qu’il était indispensable et essentiel à la paix de ne laisser aucun patriote en France. Telle était la fureur populaire qu’il suffisait d’avoir été à la messe des intrus, pour être emprisonné d’abord, et ensuite assommé ou fusillé, sous prétexte que les prisons étaient pleines comme au 2 septembre. »

Et, quand les prêtres, tout en affectant de blâmer ces excès de barbarie, y voient une juste vengeance de Dieu sur la France impie, qui arrêtera les paysans fanatisés, instruments de cette vengeance divine ? M. Germain Bethuis, fils d’un des massacrés de Machecoul, a très bien noté les deux traits de la tactique vendéenne : la démagogie rétrograde qui ameutait toutes les passions jalouses contre la bourgeoisie, classe révolutionnaire, et la systématique extermination des patriotes.

« Machecoul, petite ville alors remarquable par son commerce de grains et de farines, était située sur les confins des Marches poitevines. Elle réunissait une population de 1500 à 2000 habitants. Elle avait cessé d’être capitale du duché de Retz pour devenir chef-lieu de district. La bourgeoisie, quoique nombreuse, était dominée par le bas peuple qu’elle employait et faisait vivre. C’était dans le faubourg de Sainte-Croix qu’habitait cette populace envieuse, méchante et prête à se ruer sur les bourgeois, qu’elle croyait devoir remplacer dans leurs biens. Car on n’avait pas oublié d’exciter chez elle le sentiment de la cupidité. »

Que nous importe le ton de bourgeois censitaire de M. Bethuis, avocat, avoué et fonctionnaire sous Louis-Philippe ? Il a vu juste au fond et il dit vrai. C’est le procédé habituel de la contre-révolution féodale et cléricale, pour avoir raison de la bourgeoisie, d’exciter contre elle la colère jalouse des pauvres. Les socialistes, ni dans l’histoire d’hier, ni dans l’histoire d’aujourd’hui, ne sont dupes de cette manœuvre. Il ne suffit pas pour qu’un mouvement soit populaire, que le peuple y soit mêlé ; il ne suffit pas, pour qu’une agitation soit prolétarienne, que des prolétaires y participent. Il faut que ce mouvement et cette agitation aient pour but l’affranchissement du peuple et du prolétariat. Combattre la bourgeoisie au profit de l’avenir est révolutionnaire. La combattre au profit du passé est réactionnaire. Les ouvriers massacreurs de Machecoul, enrôlés par le fanatisme clérical et l’insolence féodale, n’étaient pas du peuple, historiquement. Ils étaient des agents de contre-révolution, comme les paysans superstitieux, égoïstes et barbares. Il y avait en ces exécutions un plan politique sinistre.

« On peut attribuer à l’effervescence du moment ou à l’instinct cruel qui sommeille dans le cœur de l’homme, les assassinats qui eurent lieu dans les premiers jours, mais, dans les jours suivants, une pensée toute politique dirigea les bourreaux, car le calme était revenu dans les esprits. Ils obéissaient à une impulsion étrangère. Ce n’était pas une foule désordonnée qui frappait.