Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/371

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tagne et la Commune toutes les forces bourgeoises et modérées. L’apologie du modérantisme est significative. Encore une fois, le louche entrepreneur de publicité ne se serait pas risqué à ce point, même sous le couvert de paroles pseudo-socialistes, il ne se serait pas enhardi jusqu’à défendre ces rassemblements des Champs-Élysées où les égoïstes commis de boutique et la jeunesse riche se mêlèrent aux royalistes et aux émigrés, si l’appel de Pétion à la bourgeoisie et aux propriétaires n’avait pas trouvé de l’écho. Mais les portes des maisons cossues et jusque-là silencieuses s’étaient ouvertes avec fracas pour laisser passer toute une armée de contre-révolution, toute une clientèle de fournisseurs, d’employés, de domestiques, conduits par des fils de bourgeois et des agents de finances. Ainsi, pour la première fois depuis l’origine de la Révolution, la lutte, sourde jusque-là, des deux fractions du Tiers État, se déclarait ouvertement et violemment. Ce n’était plus un de ces mouvements tumultueux d’émeute où, au nom du droit à la vie, les pauvres pillaient quelques magasins et quelques boutiques. Ce n’était plus un débat de tribune entre le parti qui s’appuyait surtout sur la bourgeoisie et le parti qui faisait appel à l’énergie révolutionnaire et à la force musculaire du peuple. C’était, au cœur même de chaque section, la rencontre et le conflit des deux classes. C’était, chaque soir, une sorte de corps à corps, une mêlée souvent violente des sans-culottes et de ceux qu’on appelle déjà « les culottes dorées » ou « les belles cuisses ». Les belles cuisses ? Le mot est de Chaumette, comme en témoigne un rapport que le policier Dutard (ou plus noblement : « observateur de l’esprit public ») adressé à Garat, le lundi 20 mai. Les culottes dorées ? Le mot est de Robespierre, parlant aux Jacobins.

Robespierre voyait bien que le conflit politique prenait forme de conflit social. Et certes, devant la mobilisation contre-révolutionnaire des forces bourgeoises, il se félicitait de la mobilisation révolutionnaire des forces prolétariennes. Il n’aurait pas voulu cependant que la Révolution aboutît à une lutte systématique contre la richesse et détournât d’elle cette portion de la riche bourgeoisie qui, par prudence, ne prenait point parti ou par générosité et largeur de vues restait fidèle au mouvement révolutionnaire.

Le Pelletier de Saint-Fargeau, dont on venait de célébrer magnifiquement les funérailles, n’avait-il pas été tout ensemble un des plus riches propriétaires de France et un des Montagnards les plus ardents ? C’est cette double préoccupation de combat et de prudence, qui se marque dans le bref résumé du discours prononcé par Robespierre aux Jacobins dans la séance du mercredi 8 mai. C’est seulement quand elle se traduit par un luxe arrogant, et par des prétentions provocatrices, que la richesse doit être suspecte :

« Celui-là est un insensé, s’écrie-t-il, qui se persuade que les lâches partisans de Dumouriez et de Cobourg aient sérieusement l’intention de repousser les brigands de la Vendée. Il n’y a plus que deux partis en France : le peuple et ses ennemis. Il faut exterminer tous ces êtres vils et scélérats qui