Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/484

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un magistrat estimable par ses vertus civiques et ses lumières. Du reste, les arrestations arbitraires sont pour les hommes de bien des couronnes civiques. »

C’est Isnard qui présidait. Il répondit avec une violence inouïe. Je ne crois pas qu’il ait été entraîné par une colère subite et comme grisé par l’improvisation. Il savait à coup sûr dès la veille, ou tout au moins dès le matin, que la Commune devait envoyer des délégués à la Convention pour réclamer Hébert, et il avait préparé sa réponse. Il se plaisait aux images grandioses et terribles, à une sorte de prophétisme biblique gonflé d’emphase provençale :

« La Convention qui a fait une Déclaration des Droits de l’homme, ne souffrira pas qu’un citoyen reste dans les fers s’il n’est pas coupable. Croyez que vous obtiendrez une prompte justice. Mais écoutez les vérités que je vais vous dire : La France a mis dans Paris le dépôt de la représentation nationale, il faut que Paris le respecte. Si jamais la Convention était avilie, si jamais, par une de ces insurrections qui, depuis le 10 mars, ne cessent d’environner la Convention nationale et dont les magistrats ne nous ont jamais avertis que les derniers,… si, dis-je, par ces insurrections toujours renaissantes, il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare au nom de la France…

« — Non, non, s’écrie l’extrême-gauche. — Oui, oui, répliquent les hommes de la Gironde et de la Plaine, tous debout, surexcités par l’ardente parole.

« Je vous le déclare, au nom de la France entière, Paris serait anéanti ; bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si cette ville a existé. »

C’était comme une réédition insensée du manifeste de Brunswick. Lui, il menaçait Paris de destruction s’il touchait au roi. Isnard le menace de destruction s’il touche à la Gironde. Danton demande violemment la parole, mais Isnard resserrait et précisait sa menace :

« Non seulement la vengeance nationale tombera sur les assassins des représentants du peuple, mais aussi sur les magistrats qui n’auraient pas empêché ce crime. Le glaive de la loi, qui dégoutte encore du sang du tyran, est prêt à frapper la tête de quiconque oserait s’élever au-dessus de la représentation nationale. »

Danton répondit en un discours assez puissant, mais ambigu ; il proposait encore, sous les éclairs multipliés de la guerre civile, la conciliation et la paix. Et sa harangue avait parfois un ton étrange de plaidoyer ou d’homélie :

« Pourquoi supposer qu’un jour on cherchera vainement sur les rives de la Seine si Paris a existé ? Loin d’un président de pareils sentiments ! Il ne lui appartient que de présenter des idées consolantes.

« Je ne sais point dissimuler ma pensée. Parmi les meilleurs citoyens, il en est de trop impétueux ; mais ne condamnez pas ce qui a fait la Révolution, car s’il n’y eût pas eu d’hommes à grandes passions, si le peuple n’eût pas