Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/564

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si, moyennant quelques concessions de forme, elle achevait de réduire à l’impuissance le mouvement languissant péniblement ébauché contre elle, et si elle pouvait dire que le peuple de Paris, tout entier debout et armé, mais secrètement respectueux de la loi, avait déjoué les espérances des « anarchistes » !

Rabaut Saint-Étienne justifie la Commission des Douze, il affirme que les complots dénoncés par elle ont été réels, il tente de lire, pour le prouver, une lettre d’Orléans signalant les propos menaçants de Santerre, qui disait vouloir marcher sur Paris avec les bataillons destinés à la Vendée ; il demande qu’on ne prononce pas sur la Commission des Douze avant de l’avoir entendue. Mais il propose, « pour qu’il y ait un centre unique », que cette Commission disparaisse et que le Comité de salut public soit investi de la confiance de tous pour rechercher tous les conspirateurs. C’était dissoudre la responsabilité de la Gironde et y substituer habilement celle de la Montagne et de la Plaine, de Danton et de Barère. À cette minute, il semble qu’entre Danton et Rabaut Saint-Étienne il n’y a qu’une très faible nuance. Le rapprochement que Danton a essayé en vain va-t-il se réaliser sous le coup du péril ?

La section armée de l’Observatoire, admise à la barre, tient un langage menaçant. Elle annonce que les délégués des 48 sections ont découvert les fils d’un complot contre la liberté, « qu’ils en arrêteront les auteurs et les mettront sous le glaive de la loi ». C’était parler en maîtres et comme si l’insurrection était victorieuse. Mais où était la force populaire pour soutenir ces paroles ? Elle s’étalait dans les rues ensoleillées, mais sans mouvement d’ensemble, sans action de masse, comme un étang immobile sous la lumière.

Guadet répondit aux pétitionnaires avec sa véhémence aigre : « Le complot, c’est vous ». Et Couthon, sentant que la journée se perdait, n’aboutissait pas, vint dénoncer « la faction infernale qui retenait dans l’erreur une partie de la Convention ». Mais de quelles formes prudentes Couthon s’enveloppait ! Il désavouait les violents des tribunes et leurs interpellations. Il disait : « Je ne suis ni de Marat ni de Brissot », proposait aussi à la Convention un centre de ralliement et d’équilibre, où même les Girondins, dégagés des liens de l’esprit de secte, pouvaient se rattacher, et sa conclusion était simplement que la Convention passât au vote sur la suppression de la Commission des Douze.

Il était environ trois heures de l’après-midi. Vergniaud crut que le moment était venu de constater que Paris ne s’était point insurgé. Il y avait là une part d’illusion et une part de tactique. Déjà Salle, l’halluciné Salle, qui, voyait partout machination et artifice, avait dit, pendant que Danton parlait et invitait la Convention à ne pas se laisser effrayer par les dangers : « Nous savons bien que ce n’est qu’un simulacre, les citoyens crient sans savoir pourquoi ». Non, tout ce grand peuple n’était pas levé contre les Girondins.