Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Paris, témoin des désordres de la Cour, doit éprouver plus vivement, peut-être, les sentiments d’indignation et de vengeance que ces désordres ont excités ; mais la justice de ces sentiments ne suffit point à une dernière résolution ; il faut juger comme la postérité, sans emportement et sans passion, comme on doit juger dans la généralité des départements, par les faits et non par les sensations ; il faut que la raison motive et détermine notre conduite ; c’est elle qui doit l’emporter à la longue, parce qu’elle est de tous les temps et ne connaît point d’exception. Paris même, où les crimes du dernier règne semblent avoir fait des traces plus profondes, verrait peut-être, si l’opinion de tous pouvait être consultée paisiblement en liberté, une partie de ses habitants s’étonner et s’émouvoir du grand exemple d’infortune que présente Louis XVI. »

Ainsi Buzot, après avoir dit que la Convention devait donner au peuple, par la condamnation à mort, un exemple de fermeté et de juste sévérité, semble attendre du peuple lui-même un acte de clémence. Comment, dans cette confusion des idées, dans cette dispersion de l’effort, la Gironde aurait-elle pu agir sur les événements ? et quelle était au juste la pensée de Buzot ? Ce n’est pas sans stupeur que je lis dans ses Mémoires, écrits à la fin de 1793, et dont l’authenticité semble d’ailleurs indéniable :

« Pensez-vous que je fusse assez stupide pour imaginer jamais que Louis XVI eût l’intention de favoriser les institutions nouvelles ? Non, cela n’était pas naturel ; j’excuse même, autant qu’il est en moi, les dispositions contraires. Mille autres à sa place auraient fait pis encore. Les scélérats qui ont inhumainement égorgé ce monarque infortuné auraient été, à sa place, et plus audacieusement criminels et plus heureux peut-être par de plus grands crimes. En laissant Louis XVI sur le trône, les Constituants ont été seuls dans l’égarement ou coupables, ils ont trompé l’espoir de la nation ; ils ont créé tous ses malheurs. »

Je sais bien qu’à l’heure où Buzot écrivait ces paroles il était proscrit, sans cesse sous le coup de la mort. Je sais bien qu’il était poursuivi par les mêmes hommes qui avaient frappé le roi, et qu’il était entré, pour ainsi dire, dans l’ombre de l’échafaud royal. Il est étrange cependant qu’il ose flétrir « les scélérats qui ont inhumainement égorgé le monarque infortuné », comme si lui-même n’avait pas annoncé qu’il votait la mort, et ne l’avait point votée en effet. Sans doute, il se disait à lui-même que ses efforts en faveur de l’appel au peuple, et bientôt en faveur du sursis, avaient eu pour objet de sauver le roi. Et il devait se rendre ce témoignage que jamais, au fond de sa conscience, il n’avait voulu vraiment que le roi mourût. C’est par là sans doute qu’il se croyait autorisé à flétrir un vote de mort que, matériellement, il avait émis. Mais quelles complications ! Et comme la Gironde devait se perdre elle-même en toutes ces subtilités !

Il y a dans l’opinion de Pétion la même contradiction latente que dans