Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/59

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celle de Buzot. Il se déclare obligé en conscience à voter la mort tout en faisant valoir les raisons qui doivent la faire rejeter.

« Je pense que chacun de nous doit dire son avis sur la peine qu’il croira juste et politique de faire subir à Louis et que cet avis doit être constaté par un appel nominal.

« Maintenant, quelle sera cette peine ? Il ne s’en présente que deux : la prison ou la mort.

« Le bannissement hors de la République a aussi été proposé ; cette mesure a de la grandeur, elle annonce le sentiment qu’une nation a de sa puissance ; elle frappe de mépris les despotes ; ce fut celle qu’employa Rome lorsqu’elle chassa de son sein les Tarquins. Mais ceux mêmes qui ont ouvert cette opinion ont bien senti que Louis ne pouvait pas, sans danger, être expulsé en ce moment du territoire de la liberté ; ils ont bien senti qu’il fallait avant tout que nous fussions en paix avec nos ennemis. Louis, je le pense, ne redoublerait pas leur zèle sanguinaire, n’ajouterait rien à leur fureur et à leur horreur pour notre liberté ; mais il suffirait qu’on pût le croire ; il suffirait qu’on pût penser que Louis deviendrait un point de ralliement plus actif, pour ne pas commettre une semblable imprudence.

« La prison ou la mort, c’est entre ces deux peines qu’il faut choisir.

« La détention a ses dangers ; le plus grand de tous, c’est que cette peine n’est pas juste, qu’elle n’est pas proportionnée au délit. Celui qui a voulu assassiner tout un peuple, celui qui a voulu assassiner la liberté, celui qui a fait périr des milliers d’hommes est plus criminel, sans doute, que celui qui a arraché la vie à un individu. Si ce dernier tombe sous le glaive de la loi, comment soustraire le premier à sa vengeance ? La justice et la morale se soulèvent à cette pensée.

« Louis, au milieu de nous, pourrait devenir un foyer perpétuel de divisions et de discorde, le centre de tous les complots, de toutes les espérances criminelles et l’arme la plus terrible entre les mains des factieux.

« La mort a aussi ses dangers. Je ne dirai pas que la société n’a pas le droit d’arracher la vie à un individu ; que cette peine est aussi inutile que barbare. Elle existe encore dans notre Code, et jusqu’à ce que la raison et l’humanité l’aient effacée, j’obéis en gémissant à cette loi indigne d’un peuple libre.

« Mais cette expiation de la vie serait-elle plus salutaire que nuisible à notre liberté ? Pour abattre un tyran, abat-on la tyrannie ? La mort des rois ne peut-elle pas faire revivre la royauté ? L’histoire en offre des exemples mémorables. Ah ! si tous les tyrans n’avaient qu’une tête, ce serait alors qu’un homme libre réaliserait, pour le bonheur du monde, ce souhait qu’un empereur barbare, enivré du sang des hommes, faisait pour la destruction de l’humanité ; mais un tyran abattu, mille renaissent de ses cendres.