Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/63

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pouillées brusquement de l’influence particulière que leur donnait leur action centrale. Et alors, quelle que fût la décision des assemblées primaires, les Girondins triomphaient. Si la France faisait acte de clémence, si elle épargnait la vie du roi, c’était la défaite de la Montagne qui avait si implacablement demandé sa tête, c’était aussi le désaveu de ce que les Girondins appelaient la politique de sang, c’était la condamnation de ces massacres de septembre que maintenant, après les avoir comme amnistiés d’abord, ils s’obstinaient à dénoncer ; car si la France ne vengeait pas sur la tête du principal coupable, du chef de la trahison, les crimes commis par lui, si elle avait assez de cœur pour faire grâce de la vie au plus grand des criminels, quelle excuse restait à ceux qui, en septembre, prétendirent venger la nation et sauver la liberté par le massacre de prisonniers inoffensifs, ou dont tout au moins le crime n’était pas encore prouvé ? Et au contraire, si les assemblées primaires votaient la mort, les Girondins se retournaient vers la Montagne et lui disaient :

« Vous voyez bien que vous nous avez calomniés, vous et vos satellites, quand vous avez prétendu que notre appel au peuple des départements était un appel à la contre-révolution, ou tout au moins au modérantisme ; c’est par un arrêt terrible que la France vient de frapper le tyran, et cet arrêt rendu par tout le peuple donne à la Révolution un élan que la Convention seule ne pouvait lui donner. Notre vraie pensée éclate donc aux yeux de tous, et vous ne pourrez, quelle que soit votre scélératesse, l’obscurcir plus longtemps ; ce que nous voulons, ce n’est pas affaiblir le mouvement révolutionnaire, c’est en arracher la direction exclusive à ces fractions minimes du peuple qui prétendaient usurper la souveraineté et qui se laissaient dérober ensuite par quelques agitateurs habiles cette puissance illégale. En écrasant les factions et les factieux, le vote de la France a sauvé la Révolution, et la même sentence rendue par le peuple entier a fauché la tête de la tyrannie et la tête de l’anarchie. »

Ainsi, la Gironde était moins préoccupée de la sentence finale que des moyens politiques par lesquelles elle serait rendue. C’est Buzot, celui qui menait le plus âprement la lutte girondine contre Robespierre, et la bataille des départements contre Paris, qui témoigne dans son discours, à l’égard de la vie du roi, le plus d’indifférence et de sécheresse. Mais, pour tous, il s’agissait avant tout, et quelle que dût être la destinée du roi, de rétablir en son entier le prestige amoindri de leur parti puissant encore. Même en cet admirable discours de Vergniaud, qui est comme soulevé par une large palpitation humaine, et où il semble parfois que la politique s’évanouit dans la pitié, c’est contre la Montagne que se porte le principal effort, et le grand orateur semble moins préoccupé de sauver le roi que d’accabler la faction de Robespierre.

« Assez et trop longtemps, dit Buzot, nos départements n’ont été que simples spectateurs des événements qui ont influé sur la destinée de la France