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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/64

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entière. Le temps est arrivé enfin d’appeler l’attention de chacun d’eux sur ce qu’ils doivent être dans la balance politique. Le jugement de Louis XVI vous en fournit l’occasion ; vous seriez coupables de la laisser échapper… Si vous vouliez n’être plus opprimés par cette poignée d’hommes qui osent parfois vous commander votre volonté ; si vous voulez être à l’abri des ravages de la corruption et de la misère, des orages de l’ambition et de l’anarchie qui dévorent cette ville, pour y travailler, dans l’isolement de la paix et de la vertu, à cette Constitution qui doit faire le bonheur ou le malheur de 25 millions d’hommes ; enfin, si vous voulez conserver Paris, le moment est venu, sachez en profiter. Il faut enfin que tous les départements soient instantanément les organes de leur propre volonté ; il faut que cette volonté générale, hautement prononcée, étouffe toute volonté partielle, et présente ainsi l’espérance et le moyen d’une insurrection paisible et nationale contre les desseins de quelques ambitieux ou l’erreur même et la tyrannie des représentants, s’ils devenaient coupables. »

Voilà le vrai fond de la pensée girondine, voilà la vraie raison de la tactique de la Gironde. Aussi, chacun pouvait bien s’abandonner, en ce qui touche la mort du roi, ou aux inspirations de sa pitié, ou aux préoccupations de politique extérieure, et ils inclinaient certainement à une politique de clémence, mais ils évitaient de s’engager si à fond, dans tel ou tel sens, que le jugement des assemblées primaires pût être pour eux un désaveu. Ils avaient un peu l’attitude et l’état d’esprit de juges en première instance qui voudraient pouvoir dire, en toute hypothèse, que le jugement d’appel qui interviendra est, au fond, une confirmation de leur arrêt. En tous ces calculs, les Girondins n’oublient qu’une chose : c’est que jeter cette question redoutable dans des milliers d’assemblées primaires où intrigueraient les nobles et les prêtres, où s’opposeraient les diverses factions révolutionnaires qui, de Paris et de la Convention, commençaient à se dessiner à travers la France, c’était déchaîner la guerre civile et perdre la Révolution. Peut-être, pour les Girondins eux-mêmes, était-il déjà trop tard. Ils n’auraient pas été partout les maîtres des assemblées primaires ; en tout cas, dans les régions mêmes où ils croyaient dominer, il y aurait eu des chocs violents. Je ne puis oublier que dans le département même de Buzot, dans l’Eure, sa politique était très combattue : Buzot, Richou, Lemaréchal, Savary, Dubusc votèrent l’appel au peuple ; les deux Lindet, Duroy et Bouillerot votèrent contre. Barbaroux recevait de Marseille les plus sévères avertissements. Et je me demande si la Gironde ne se hâtait pas de provoquer, par l’appel au peuple, une manifestation des départements avant que son influence y ait été trop fortement minée.

Un moment, le génie de Vergniaud parut emporter les esprits au-dessus de tous les calculs et de toutes les combinaisons.

C’était le privilège de ce grand homme que même quand il servait ou paraissait servir un parti étroit, il donnait tant de noblesse à sa cause qu’elle