Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/647

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et discret au sujet de la propriété. Mais, au delà de ce projet central et officiel, bien des initiatives, bien des audaces de pensée se faisaient jour, et le concept même de propriété, affirmé et justifié par tous ou par presque tous, était soumis cependant à une critique pénétrante et à de véritables conditions et restrictions. Cet ébranlement paraissait assez redoutable au Girondin Pénières (un des plus étroits et des plus âpres, un de ceux qui assaillirent le plus résolument Danton) pour qu’il crût devoir, dans son « plan et projet de constitution pour la République française », soumis à la Convention le 10 avril, dénoncer le danger.

« Une opinion ou plutôt un système qui tendrait à détruire tout ordre social, puisqu’il a été la cause première de l’association de l’espèce humaine, semble prendre quelque faveur parmi les hommes dont les pères, peu industrieux ou prodigues, ne leur ont laissé par héritage que la force de leurs bras. C’est, sans doute, cette classe malheureuse qu’on cherche à égarer, et dont se servent aujourd’hui les ennemis de l’ordre social pour retarder, ou pour mieux dire, afin d’empêcher l’organisation de la République française. Jusqu’à ce moment personne n’a cru devoir combattre cet absurde système : l’homme raisonnable qui a quelques connaissances ou seulement quelques idées sur la cause de la réunion des hommes, sur leurs inclinations, leur naturel et leurs besoins, n’a jamais pensé que dans un état où un individu ne peut, avec les productions naturelles de la terre, pourvoir à sa subsistance et, à plus forte raison, à ses besoins, on pût jamais mettre en thèse le paradoxe ridicule de la loi agraire ou partage des biens ; et si je n’eusse entendu ici même les propagateurs de cet absurde précepte, je douterais qu’à la fin du dix-huitième siècle il existât des Français assez stupides pour proposer à leurs concitoyens de rentrer dans les forêts pour s’y nourrir de glands, ou de quitter cette zone trop froide et trop stérile pour aller vivre en frugivores sous la ligne équatoriale.

« Comme la propriété a été la cause de presque toutes les conventions parmi les hommes, comme la propriété a été le principe de tout gouvernement et de toute institution politique, sans m’écarter de mon objet, je puis établir à ce sujet quelques principes. La propriété n’est point, à proprement parler, un droit naturel de l’homme, puisque l’homme à l’état de nature a droit de jouir de tout ce qu’il peut se procurer, soit en disputant aux autres animaux ou à ses semblables le fruit ou la proie qu’il rencontre.

« Dans l’état de nature, l’homme est sans doute semblable à tous les autres animaux, mais son instinct ou sa raison l’ayant placé au sommet de la chaîne de la nature, il ne devait point être au-dessous du singe et du castor. Aussi, les premières peuplades ont eu des troupeaux, ont fait ensemble la pêche et la chasse aux animaux dont elles se nourrissaient, et lorsqu’il leur a fallu des filets, des javelots, des cabanes et des jardins, la propriété a été établie parmi eux ; et dès qu’elle a été violée par quelqu’un, la force a