Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/714

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qu’il cesse de la peupler des fantômes de son imagination. La nature, limpide et vaste, ne connaît ni le paradis, ni l’enfer. Toutes ces chimères se dissipent à mesure que le monde naturel est mieux connu, qu’il est davantage pour nous « la nature ».

De même, si l’homme savait voir la nature dans son étendue, il constaterait que le bonheur d’un individu est lié au bonheur des autres : il remarquerait que la somme des besoins de chacun est limitée, que la possibilité des plaisirs n’est pas infinie, et qu’il est dès lors contraire à l’ordre naturel d’accabler un homme de moyens de jouissances qui excèdent sa faculté naturelle de jouir.

L’homme, pour être heureux et juste, doit donc non pas retourner à la nature, mais s’élever à la nature, qui n’est en somme que la vaste liaison des choses se manifestant à la raison et déterminée par la science. C’est en allant vers l’avenir, c’est en éduquant l’homme qu’on le rendra conforme à la nature et capable de bonheur. Boissel a comme dénoué le nœud où Rousseau liait l’histoire humaine. Rousseau s’est trompé quand il a cru qu’il fallait retrouver la nature : il faut la trouver. Il s’est trompé aussi quand il a cru que la propriété était le trait caractéristique par où « la société civile » s’opposait à l’état de la nature ; s’il en était ainsi, on ne pourrait abolir la société civile, sans retomber dans la sauvagerie primitive.

Au contraire, le communisme sera un progrès nouveau de la société civile, ou plutôt il en sera l’accomplissement et la justification.

« Un écrivain assez renommé a consigné dans un discours que celui qui le premier avait dit : ceci est à moi, devait être regardé comme le vrai fondateur de la société civile… J.-J. Rousseau n’a raisonné que d’après le fait de la fondation originelle de la société civile dont les inconvénients désastreux lui ont fait préférer la vie sauvage ; mais il n’a pas raisonné d’après le droit ni les principes qui auraient dû être et qui devraient aujourd’hui servir de base et de fondement à la civilisation, parce qu’il ne les a pas connus ; il n’a pas senti par conséquent les précieux avantages qui lui auraient fait préférer la vie civile à la vie sauvage. Il n’a ouvert les yeux que sur l’origine du mal sans s’occuper de la recherche d’aucun remède ni de l’origine du bien. »

Le communisme peut donc être réalisé, non par régression, mais par progrès. Il ne sera pas la destruction de la société civile ; il en sera l’épanouissement. Il sera la vérité de la nature se dégageant pour la première fois des ténèbres, des violences et des erreurs.

Ce communisme de Boissel, s’il est « naturel » au sens que je viens de dire, n’est pas athée. Sans doute l’éducation des hommes ne doit être ni spiritualiste ni déiste. Elle doit être indépendante de toute notion précise de l’âme et de Dieu. Après avoir donné une description physiologique de la mort et noté la dissolution de l’organisme, Boissel pose la question :

« Et son âme, que devient-elle ? — Cette demande est hors d’œuvre,