Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/718

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les menaces du décret du 18 mars 1793 paraissent vaines, quand on songe que le livre de Boissel se répandait tous les jours davantage, et qu’en même temps le rôle de Boissel aux Jacobins grandissait ! Il y était volontiers ; violent, et il provoqua des murmures le jour où, parlant des massacres de septembre, il dit « qu’on ne devait regretter qu’une chose, c’est qu’ils n’aient pas été plus complets ! »

Boissel, aux Jacobins même, apporta un projet de Déclaration des Droits qui s’inspirait nettement de sa doctrine et la rappelait explicitement. M. Aulard a eu tort, dans les extraits qu’il donne de la séance des Jacobins du 22 avril, de négliger complètement les paroles de Boissel. Elles ont un grand intérêt historique et on pourrait leur donner pour titre : « Le saint-simonisme devant le club des Jacobins et la Révolution. » De faciles et bourgeoises railleries (assez gauloises et égrillardes) accueillirent Boissel quand il mentionna « le droit de se reproduire ». Les Jacobins ne voyaient pas que Boissel voulait transposer la Déclaration des Droits de l’ordre idéologique et abstrait dans l’ordre physiologique et naturaliste. Il condamnait les arrangements sociaux qui réduisent au célibat, à la stérilité, des millions d’êtres, et il voulait faire descendre le droit jusqu’aux racines mêmes de la vie :

« Robespierre vous a lu hier la Déclaration des Droits de l’homme, et moi je vais lire la déclaration des droits des sans-culottes. Les sans-culottes de la République française reconnaissent que tous leurs droits dérivent de la nature, et que toutes les lois qui la contrarient ne sont pas obligatoires ; les droits naturels des sans-culottes consistent dans la faculté de se reproduire… » (Bruit et éclats de rire.) L’orateur continue… « De s’habiller et de se nourrir : 1o Leurs droits naturels consistent dans la jouissance et l’usufruit des biens de la terre, notre mère commune ; 2o Dans la résistance à l’oppression ; 3o Dans la résolution immuable de ne reconnaître de dépendance que celle de la nature et de l’Être suprême.

« Les sans-culottes reconnaissent que la société n’est établie que pour la sûreté du plus faible contre le plus fort.

« Les sans-culottes reconnaissent que le meilleur gouvernement est celui qui lutte le plus efficacement contre les ennemis de la République, et que le gouvernement à établir ne peut être provisoirement que révolutionnaire. »

Peut-être Babeuf, qui ne s’enveloppait pas de formules philosophiques et panthéistiques, n’aurait-il pas bénéficié de la même impunité que Boissel. Il jugeait en tout cas plus politique de se taire, de ne pas opposer « les droits des sans-culottes » aux « droits de l’homme », assuré que les droits de l’homme deviendraient nécessairement les droits des sans-culottes. Il y a donc dans cette période, si l’on me passe le mot, des réserves de socialisme latent. Il y aurait puérilité à caractériser la pensée sociale de la Révolution et de la Convention par les formules communistes de Boissel ou même par