Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/719

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l’extrême tendance égalitaire de Billaud-Varennes. Mais la méprise serait aussi grave de négliger les premières manifestations socialistes de la démocratie, et surtout la secrète et profonde poussée d’égalité que le mouvement révolutionnaire propage dans les esprits ébranlés.

Robespierre était beaucoup moins « agrairien » que ne le supposait Babeuf, mais il avait le souci d’inscrire dans la Déclaration des Droits une définition de la propriété qui donnât quelques garanties au peuple souffrant et qui permît des développements sociaux dans le sens de l’égalité. Michelet, qui tire souvent des coïncidences de dates des effets lumineux, parfois aussi des fantaisies et des paradoxes, note que Robespierre a formulé ses principes constitutionnels le 24 avril, le jour même où Marat, acquitté, revenait triomphant à la Convention. Robespierre, « jaunissant d’envie » devant la popularité grandissante de Marat, avait essayé de lutter avec lui par une définition quasi socialiste de la propriété. Michelet oublie que Robespierre était depuis plusieurs semaines déjà membre de la Commission, chargée par les Jacobins d’étudier un plan de Constitution qui pût être opposé par la Montagne au plan du comité girondin de la Convention. Il oublie que Robespierre, s’il ne parle que le 24, avait demandé la parole le 22, avant que l’acquittement de Marat eût provoqué les vives démonstrations populaires du 24 ; et ce n’est pas hors de propos, comme le dit Michelet, que Robespierre avait demandé la parole, mais parce que, ce lundi 22 avril, le débat avait porté à la Convention sur quelques-uns des articles essentiels de la Déclaration des Droits. C’est rabaisser un peu étourdiment ce grand homme que d’abuser ainsi, pour lui prêter des motifs mesquins, de combinaisons de dates tout à fait factices. C’est s’exposer aussi à fausser l’histoire.

Robespierre avait des raisons graves, à l’heure où se posait le problème des subsistances, et où la Gironde semblait faire appel contre le mouvement de la Révolution aux intérêts bourgeois, de chercher une formule de la propriété qui laissât quelque jeu à l’action et à l’espérance du peuple.

« J’ai demandé la parole dans la dernière séance (c’est dans l’avant-dernière) pour proposer quelques articles additionnels importants qui tiennent à la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Je vous proposerai d’abord quelques articles nécessaires pour compléter votre théorie sur la propriété : que ce mot n’alarme personne. Âmes de boue, qui n’estimez que l’or, je ne veux point toucher à vos trésors, quelque impure qu’en soit la source. Vous devez savoir que cette loi agraire, dont vous avez tant parlé, n’est qu’un fantôme créé par les fripons pour épouvanter les imbéciles. Il ne fallait pas une révolution sans doute pour apprendre à l’univers que l’extrême disproportion des fortunes est la source de bien des maux et de bien des crimes, mais nous n’en sommes pas moins convaincus que l’égalité des biens est une chimère. Pour moi, je la crois moins nécessaire encore au