Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/764

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cousus que de haillons et vous insultez aujourd’hui par votre luxe à la misère publique ; vous aviez à peine un domicile et vous habitez des palais ; vous aviez à peine une charrue et vous êtes propriétaires de terres considérables ; vous ne faisiez qu’un tout petit commerce au milieu de la rue et vous tenez des magasins immenses ; vous n’étiez que commis à gages dans les bureaux, vous armez des vaisseaux de guerre. Je ne suis pas étonné qu’il y ait tant de personnes ardentes en apparence pour la Révolution : elle leur a fourni un prétexte précieux pour entasser patriotiquement, en peu de temps, trésor sur trésor, et pour couvrir leurs vols d’un voile impénétrable.

« Sous l’ancien régime on aurait rougi de commettre de pareils actes.

« Expliquez pourquoi, malgré l’abondance des récoltes, la suppression des droits d’entrée et la diminution des consommateurs, expliquez pourquoi les denrées, même de mauvaise qualité, ont doublé et triplé de prix. Vous dites : c’est la guerre ! ce sont les assignats ! Non, c’est votre avidité.

« Mais prenez garde, agioteurs, accapareurs, riches des larmes des malheureux, scélérats impudibonds, vous mourrez du supplice des traîtres. »

Mais quel secret avait donc Jacques Roux et quel système pour empêcher l’avènement révolutionnaire des « nouvelles couches » bourgeoises ? Il était impossible et il eût été contre-révolutionnaire d’empêcher cet immense déplacement de fortune, et d’abolir les effets de la colossale expropriation du clergé et de la noblesse. L’essentiel était de profiter de ce mouvement prodigieux pour organiser et assurer à jamais la démocratie, qui aurait permis ensuite l’avènement de couches plus profondes, de forces populaires encore ensevelies sous l’ignorance et la misère. Or, c’est à cette organisation de la démocratie que travaillait la Montagne ; et Jacques Roux la compromettait par son obstination maniaque à opposer l’innocence de l’ancien régime à la malice et à l’égoïsme des temps nouveaux.

« Je dénonce, ajoutait-il, ces hypocrites à qui le nivellement de la société paraît une chimère ; les mandataires infidèles ; les ministres qui ont confié en des mains criminelles le salut de l’empire ; les officiers civils et militaires qui ont négligé l’application des lois, les charlatans ultramontains, les athées sanguinaires, les égoïstes, les banquiers, les accapareurs, ceux qui ont la révolution dans la tête et la contre-révolution dans le cœur.

« Soyez animés de l’âme de Brutus et sauvez le Capitole. »

Roux s’exaltait ainsi. Mais ce morceau ne parut pas. Sans doute, dans le redoublement de la tourmente, il jugea prudent de plier ses voiles, au moins pour quelques jours. Étrange et énigmatique personnage ! Marat l’a certainement calomnié en disant qu’il avait usurpé le nom de Jacques Roux, qu’il s’appelait Renaudi et qu’il n’avait pris le nom de Jacques Roux qu’à la mort du prêtre d’Issy qui le portait. Les registres de l’église paroissiale de Saint-Gilard de Pranzac, diocèse d’Angoulême, portent mention à la date du vingt-unième d’août 1752 du baptême de Jacques Roux, fils légitime de M. Gratien