Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/77

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des principes, la fidélité aux mandants, et la terrible nécessité de faire disparaître le tyran pour ôter tout espoir à la tyrannie. »

Mais il avertit bien que si son opinion est conforme à celle des sections agitées de Paris et à celle de Marat, cette rencontre lui pèse, et il va jusqu’à indiquer qu’il est possible qu’il y ait une intrigue obscure nouée autour du duc d’Orléans, et où la mort du roi ne serait qu’une carte du jeu.

« Si quelque chose avait pu me faire changer, c’est de voir la même opinion partagée par un homme que je ne peux me résoudre à nommer, mais qui est connu par ses opinions sanguinaires ; c’est de voir mon opinion se rapprocher de celles de quelques sections de Paris, entre autres de cette section du Luxembourg, dont on aurait dû punir l’arrêté provocateur de la désobéissance aux lois, et coupable d’attentat à la liberté des opinions publiques.

« Enfin, si quelque pensée avait pu arrêter ma plume, c’eût été de me dire que, si je repousse la ratification populaire pour extirper la royauté, en déracinant le trône, d’autres, avec la même opinion que moi, dans la République, ont peut-être l’arrière-pensée de substituer une idole à une autre, et de faire naître, des principes les plus purs des moyens d’agitation et de trouble. »

Sans doute (et c’est le côté faible de sa méthode qui peut aboutir parfois à une sorte de balancement systématique et à une fausse symétrie), je crois que Barère est trop complaisant pour cette hypothèse de Buzot. En fait, ni dans la Convention, ni à la Commune, il n’y avait un seul parti, un seul groupe qui songeât vraiment à installer sur le trône le duc d’Orléans.

Mais, par là encore, Barère rassurait ceux qui pouvaient craindre, en votant la mort sans appel au peuple, de donner trop de gages à la Montagne ; ils ne craignaient plus maintenant, après ce désaveu presque flétrissant de « l’écrivain sanguinaire », d’être confondus avec les maratistes.

Barère d’ailleurs persuadait d’autant mieux qu’il ne paraissait pas vouloir s’imposer. Sa modestie à la fois sincère et calculée contrastait avec ce qu’il y avait d’impérieux, dans la volonté de Robespierre, et parfois dans le génie même de Vergniaud.

« Je viens, disait-il, exposer ma pensée et ne veux influencer celle de personne. Je n’ai jamais ambitionné que ma voix comptât pour plus d’une. »

Je crois démêler ici une nuance d’ambition fine, mesurée et discrète, qui attendait patiemment son heure et qui croit qu’elle est arrivée. Il parlait d’une façon pénétrante et douce, avec une aisance qui donnait un air de franchise à tout. Lacombe Saint-Michel dira, quelques semaines plus tard, en combattant une opinion de Barère :

« Opinion d’autant plus dangereuse que son éloquence, marquée au coin de la bonne foi et de la plus douce sensibilité, pouvait à la rigueur en égarer plusieurs par la franchise qu’il met dans tout ce qu’il dit. »