Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/797

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« Souveraine des sauvages et des nations éclairées, ô Nature, ce peuple immense, rassemblé aux premiers rayons du jour devant ton image, est digne de toi, il est libre. C’est dans ton sein, c’est dans tes sources sacrées qu’il a recouvré ses droits, qu’il s’est régénéré. Après avoir traversé tant de siècles d’erreur et de servitude, il fallait rentrer dans la simplicité de tes voies pour retrouver la liberté et l’égalité. Nature, reçois l’expression de l’attachement éternel des Français pour tes lois, et que ces eaux fécondes qui jaillissent de tes mamelles, que cette boisson pure qui abreuva les premiers Français, consacrent dans cette coupe de la fraternité et de l’égalité le serment que te fait la France en ce jour le plus beau qu’ait éclairé le soleil depuis qu’il est suspendu dans l’immensité de l’espace. »

Et après cette sorte d’hymne, « seule prière, depuis les premiers siècles du genre humain, adressée à la Nature par les représentants d’une Nation et par ses législateurs », les envoyés des départements abondèrent en paroles émues et prophétiques. « Ils se sont approchés de la coupe sainte de la liberté et de l’égalité. En le recevant des mains du président qui, ensuite, leur a donné le baiser fraternel, l’un lui disait :

« Je touche aux bords de mon tombeau, mais en pressant cette coupe de mes lèvres, je crois renaître avec le genre humain qui se régénère. »

Un autre, dont le vent faisait flotter les cheveux blanchis, s’écriait :

« Que de jours ont passé sur ma tête ! Ô Nature, je te remercie de n’avoir pas terminé ma vie avant celui-ci ».

Un autre, comme s’il eût assisté à un banquet de nations, et qu’il eut bu à l’affranchissement du genre humain, disait en tenant la coupe :

« Hommes, vous êtes tous frères ! Peuples du monde, soyez jaloux de notre bonheur, et qu’il vous serve d’exemple ! »

« Que ces eaux pures dont je vais m’abreuver, s’écriait un autre, soient pour moi un poison mortel, si tout ce qui me reste de vie n’est pas employé à exterminer les ennemis de l’égalité, de la Nature et de la République. »

Un autre, saisi d’un esprit prophétique en s’approchant de la statue :

« Ô France, la liberté est immortelle : les lois de la République, comme celles de la Nature, ne périront jamais ».

Ce qu’ils invoquent, ce n’est point la Nature défigurée par le regard débile et obscurci de l’ignorant et de l’esclave ; c’est la nature telle qu’elle se déploie pour le ferme regard qui sait et qui ose. Elle ne porte dans ses plis aucune puissance de ténèbres et de terreur, et on peut la fouiller en profondeur et en hauteur, on ne trouvera point en elle un tyran suprême qui sanctifie les crimes des tyrans. Dans aucun repli de l’espace ne sont cachés les titres qui donnent à des hommes droit de domination sur d’autres hommes ; l’universel et égal désir de bonheur de tous les êtres humains est au contraire une magnifique invitation de la Nature à l’égalité. Ce n’est donc plus ici l’esprit romain d’une aristocratie portée par des esclaves : c’est