Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/909

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui, réunissant leur influence, font taire le peuple, l’épouvantent, le séparent des législateurs qui devraient en être inséparables et corrompent l’opinion dont ils s’emparent… »

Dès le 8 ventôse, Saint-Just, tout en paraissant tourner surtout son effort contre les dantonistes, trouait ce rideau de fonctionnaires hébertistes qui séparaient du peuple souffrant la Convention calomniée. Ainsi, hébertistes et dantonistes corrompaient le gouvernement par des formes diverses d’égoïsme. Et dans l’ordre économique encore, ils étaient funestes. On n’a pas assez vu combien la conduite politique de Saint-Just était dictée par sa conception économique. Il savait qu’avec cette dépense insensée de trois cents millions par mois la Révolution se dévorait elle-même : les assignats cachaient un moment le déficit mais en bouleversant tous les rapports. Et demain, dans l’abîme toujours élargi, la liberté, la vie même de la France disparaîtraient. Lois contre l’accaparement, maximum, réquisition, tout cela n’était qu’expédients provisoires. Il n’y avait qu’un remède, un seul : modérer les dépenses. En les réduisant, par un effort plus héroïque que le don de soi sur le champ de bataille, on pourrait retirer peu à peu les assignats de la circulation. Aux dépenses diminuées l’impôt normal et annuel pourrait suffire. En retirant les assignats et neutralisant ces milliards de papier qui « fermentaient dans la République », qui toujours prêts pour tous les achats haussaient tous les prix et faussaient toutes les transactions, on rétablirait la circulation régulière, on dispenserait la Révolution de se faire conquérante, pillarde et dictatoriale, on sauverait la liberté.

C’est là ce que Saint-Just répétait en toute occasion, à propos des lois sur les subsistances à la fin de 1792, puis en octobre 1793, dans son rapport sur le gouvernement révolutionnaire. Il n’osait pas, de peur d’être appelé trop tôt « à boire la ciguë », déclarer ouvertement la guerre à l’assignat. Mais il allait en ce sens aussi loin qu’il le pouvait sans se faire accuser de contre-révolution.

Donc il n’y a qu’un moyen d’être vraiment révolutionnaire, c’est d’être économe. Or l’hébertisme et le dantonisme sont également dépensiers. L’hébertisme veut jeter les millions et les milliards de la guerre à l’appétit de ses comités, de ses bureaux, à la convoitise illimitée de sa fausse plèbe. Et le dantonisme, par son goût de la vie large et facile, par son indulgence aux faiblesses humaines, donne un signal de prodigalité qui recueilli, propagé par les fournisseurs, par les administrateurs de tout ordre, militaires ou civils, par les généraux et les commissaires aux vivres, déchaîne le gaspillage et la corruption.

L’austérité de Saint-Just (j’entends celle de ses doctrines, car le secret de la vie privée nous échappe et il lui est arrivé, on s’en souvient, d’être dénoncé par des pétitionnaires pour l’excessive dépense de sa table), n’est donc pas une sorte de plagiat de la Rome antique. Elle est l’expression d’une nécessité éco-