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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/910

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nomique. La Révolution périssait si elle ne devenait pas un gouvernement à bon marché, un peuple à bon marché. Chimère sans doute, car comment compter, pour équilibrer les finances de la Révolution, sur ce contrôle surhumain qui seul aurait donné quelque efficacité aux vues de Saint-Just ? Ni l’individu, quelle que soit la puissance des mœurs, n’est capable de se surveiller ainsi lui-même, ni un gouvernement, quelle que soit sa force de travail et l’étendue de ses regards, même s’il parvient à simplifier sa tâche en réduisant « le monde de papier » sous lequel ploient les ministères, ne peut comprimer les dépenses, ni réformer les habitudes dans l’immense mouvement d’hommes et de choses que suscite la Révolution armée aux prises avec l’univers. Mais ce parti pris obstiné de simplicité gouvernementale et d’économie universelle ajoutait à sa haine contre l’hébertisme et contre le dantonisme. Ô bien aveugle Collot d’Herbois, si vous n’avez pas senti la déclaration de guerre cachée dans le manifeste du 8 ventôse ! bien aveugles Cordeliers !

Mais peut-être et Collot et les Cordeliers firent-ils tout d’abord semblant de ne pas comprendre. Collot d’Herbois, s’il était capable de quelque prévoyance, se demandait sans doute avec angoisse ce qu’il ferait, en quel camp il prendrait place le jour où éclaterait le conflit entre Robespierre et Hébert, entre le Comité de Salut public dont il était membre et le club des Cordeliers dont il était un des héros. Il essayait sans doute d’écarter ou d’ajourner ce problème importun en se persuadant que la paix allait être faite, que le Comité de Salut public se rejetait, avec les Cordeliers, à l’avant-garde hébertiste. Et les Cordeliers, eux, préoccupés d’élargir le mouvement, n’étaient pas fâchés de faire croire que le Comité de Salut public leur donnait raison. Ainsi ils endormiraient les défiances jacobines et prépareraient plus sûrement leur coup de main. Car c’est bien un coup de main qu’ils préparaient. Ronsin et Vincent rencontrant, au jardin des Tuileries, Souberbielle, juré au tribunal révolutionnaire lui exposèrent une partie de leur dessein. Il s’agissait de mobiliser l’armée révolutionnaire et d’égorger les suspects dans les prisons. Mais, sans doute, ils ne lui révélèrent qu’une partie de leur plan, celle qui correspondait aux journées de septembre, ils ne lui révélèrent point ce qui correspondait au 31 mai. Ils ne lui dirent point que la Convention aussi serait soumise à une épuration violente. Et sans doute, arrêtés par son indignation et sa surprise au début de leurs confidences, ils ne se livrèrent point à fond. Mais quel sens aurait eu cette mobilisation de l’armée révolutionnaire faite en dehors du Comité de Salut public, si cette armée n’était pas destinée à être l’instrument de la dictature hébertiste ? Souberbielle épouvanté courut chez Robespierre malade, pour l’avertir. Aussi bien, les hébertistes ne cachaient plus leur dessein.

À la séance du Club des Cordeliers, du 14 ventôse (4 mars), ils annoncent tout haut l’insurrection prochaine. Ils voilent le tableau des Droits de l’Homme pour signifier que la liberté a subi une éclipse, et ils décident qu’il