Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/925

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Robespierre, réaliser sa pensée secrète ? Il serait tombé au gouffre de contre-révolution.

En tout cas, il n’a pas fait de ce suprême plaidoyer son testament révolutionnaire. S’il avait un plan, s’il avait un dessein pour modérer la Révolution sans la perdre, pour organiser la démocratie sans la livrer, il a perdu une occasion incomparable de les promulguer et de prendre possession de l’avenir. Étonné et effrayé de la résistance des dantonistes, le Comité de Salut public fit décréter à la Convention que les accusés qui troubleraient l’ordre seraient mis hors des débats. Ils furent emmenés et c’est en leur absence que le tribunal révolutionnaire prononça la sentence de mort. Ah ! quel adieu poignant Camille Desmoulins laissait à sa femme, à sa famille adorée ; quiconque peut lire cette immortelle page sans être bouleversé jusqu’aux racines du cœur n’a plus gardé une fibre humaine. Et Danton aussi, à la minute suprême, eut comme une défaillance du cœur en songeant à sa femme et à ses enfants. « Allons, Danton, dit-il, pas de faiblesse ! » Et il jeta à ce peuple qui laissait faire un regard de fierté et de dédain. Ces hommes aimaient la vie, ils l’aimaient pour elle-même, parce qu’elle était la vie, parce qu’elle était l’amour, parce qu’elle était la liberté. « Allons nous endormir, disait Danton, dans le sein de la gloire. » C’est la gloire qui de son rayonnement leur cacha l’horreur de la mort.

Ce qui est effrayant et triste, ce n’est pas que tous ces révolutionnaires, combattants de la même cause, se soient tués les uns les autres. Quand ils entrèrent dans ce combat, ils acceptèrent d’avance l’hypothèse de la mort. Elle était entre eux l’arbitre désignée ; et les partis qui se disputaient la direction de la Révolution n’avaient pas le temps de ménager d’autres solutions. Dans ces heures si pleines, si prodigieusement concentrées, où les minutes valent des siècles, la mort seule répond à l’impatience des esprits et à la hâte des choses. On ne sait à quel autre procédé les factions rivales auraient pu recourir pour régler leurs litiges. On imagine mal girondins, hébertistes, dantonistes, accumulés dans la prison du Luxembourg. Ils auraient formé avant peu un Parlement captif, un Parlement d’opposition où Vergniaud, Danton, Hébert, auraient dénoncé d’une même voix la tyrannie robespierriste. Et nul n’aurait pu dire avec certitude où siégeait la Convention, aux Tuileries ou au Luxembourg. Autour de cette Convention de prisonniers illustres se seraient groupés tous les mécontentements et toutes les forces hostiles au gouvernement révolutionnaire.

Dans les périodes calmes et lentes de la vie des sociétés, il suffit d’enlever le pouvoir aux partis qui ne répondent pas aux nécessités présentes. Ces partis dépossédés peuvent préparer leur lente revanche, sans paralyser le parti en possession. Mais quand un grand pays révolutionnaire lutte à la fois contre les factions intérieures armées et contre le monde, quand la moindre hésitation ou la moindre faute peuvent compromettre pour des