Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/148

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Falloux comme devise de son ministère. Il ne s’agit plus seulement d’ordre matériel ; il faut moraliser, christianiser les foules, déraciner les hérésies sociales qui ont germé dans les cerveaux.

À ce bloc réactionnaire uni sous la bannière cléricale les républicains n’opposent pas une masse aussi compacte. La peur du socialisme et le fossé rempli de sang par les journées de Juin coupent le parti en deux. Les modérés — qui croient avoir réalisé tout le possible en proclamant le suffrage universel — sont trop démocrates pour le parti de l’ordre qui ne se souvient pas des services rendus, trop bourgeois pour le peuple qui n’oublie pas les blessures reçues. L’heure de l’échéance est venue pour les fautes qu’ils ont multipliées, et c’est presque en dehors d’eux que s’organise la défense de la République.

Il s’opère une triple réconciliation : des ouvriers avec la petite bourgeoisie radicale ; des travailleurs des villes avec ceux des campagnes ; du prolétariat civil avec le prolétariat militaire. Il se forme de la sorte un parti nouveau, qui, selon Proudhon, est le parti du Travail en face de celui du Capital, mais qui, moins nettement, s’appelle lui-même démocrate-socialiste. Le langage populaire oppose les dèmoc-soc aux réac ou aristos. La République rouge, comme on dit encore, a désormais son programme.

Ledru-Rollin, dans le banquet du Châlet qui eut lieu le 22 septembre 1848, anniversaire du jour natal de la première République, avait proclamé la nécessité de l’entente et en avait posé la base essentielle : réforme sociale, complément nécessaire de la réforme politique. L’alliance, difficile à conclure, se noue sous la pression des événements. Le banquet du 24 Février 1849 la consacre et le Comité démocrate-socialiste de Paris résume en six articles les propositions que tout candidat doit accepter pour avoir son appui. Les trois premiers sont tout politiques et inspirés par les préoccupations du moment ; 1o La République est au-dessus du droit des majorités. 2o Les représentants s’engagent à donner l’exemple de la résistance, si la Constitution est violée. 3o L’emploi des armes de la France contre la liberté d’un autre peuple est une violation de la Constitution ; la Fiance doit, au contraire, son concours aux peuples opprimés. Les trois articles révèlent la défiance contre le pouvoir exécutif, l’Assemblée future et même contre le Suffrage universel. Les trois derniers ont un caractère social. 4o Reconnaissance du droit au travail, qui est un moyen de combattre la tyrannie du capital, 5o Éducation obligatoire, gratuite et commune pour tous les enfants. 6o Reprise du milliard accordé par la Restauration aux émigrés. — Ainsi, d’une part, appel éventuel à la force, avertissement maladroit à l’ennemi de se tenir sur ses gardes, et menace révolutionnaire inutile et même dangereuse à brandir dans la lutte électorale ; d’autre part, sauf sur la question d’éducation, formule vague ou projet ayant un vilain air de représailles et peu de portée, à supposer qu’il fût réalisable.