parties reculées où les nouvelles ne pénétraient que tardivement. Il n’en fut rien. On n’était pas loin du temps où Henri Heine écrivait avec une impertinente désinvolture : « En France, ce que pense la province importe autant que ce que pensent mes jambes ! » Paris, dans l’État centralisé à outrance depuis Napoléon Ier, était accoutumé à prendre l’initiative des grands changements politiques ; les villes suivaient Paris et les campagnes suivaient les villes. Qui aurait pu s’opposer à la transformation accomplie ? L’Église, le parti légitimiste avaient combattu vigoureusement le gouvernement déchu. Les 260 000 électeurs qui avaient composé « le pays légal » étaient trop clairsemés, trop isolés pour former un solide noyau de résistance. La monarchie de Louis-Philippe n’eut pas sa Vendée, elle croula comme un château de cartes ; Paris l’avait renversée d’un souffle, on la laissa tomber !
La proclamation de la République fut accueillie, suivant les endroits, avec allégresse ou avec une stupeur résignée. Dans les villes industrielles, les ouvriers, avant-garde républicaine, saluèrent avec enthousiasme ce qui était pour eux une promesse de mieux-être. À Lyon, qui était alors la capitale ouvrière de la France, la cité des insurrections à caractère social, ils arborèrent le drapeau rouge qui flotta plusieurs semaines, sur les forts occupés par eux ; ils démolirent le mur d’enceinte qui mettait leurs faubourgs sous le feu des canons ; ils attaquèrent des couvents dont les ouvroirs faisaient concurrence à leurs ateliers ; ils restèrent plusieurs semaines maîtres de la rue et de l’Hôtel de Ville, comme ils le furent aussi à Limoges. À Lille, ils jetèrent le buste du roi dans un canal, brisèrent quelques vitres, brûlèrent une gare ; à Rouen, ils saccagèrent aussi un débarcadère et menacèrent quelques hôtels de riches industriels. Ils révélaient ainsi, dès le début, que pour eux le mouvement signifiait abaissement des grands et relèvement des petits. Là, comme à Paris, apparaissait en pleine lumière leur antagonisme avec la bourgeoisie, et l’effort des commissaires envoyés par le pouvoir central fut de contenir les impatiences des uns en calmant les angoisses des autres. C’est en Alsace que la tâche fut le moins difficile, parce que des patrons intelligents, à Mulhouse surtout, avaient dès longtemps pris soin d’instruire et de traiter en hommes les travailleurs de leurs usines. Dans les grandes villes de commerce, à Marseille ou à Nantes, la République suscitait moins d’espérances et partant moins de craintes ; elle était acceptée sans peine et sans bruit. À Toulouse, à Nancy, elle était acclamée avant même qu’on sût ce qui se passait à Paris ; à Bordeaux seulement, il se produisait une petite émeute bourgeoise contre un Commissaire à qui l’on avait prêté des desseins terroristes. En maint endroit, on créait des chantiers pour les ouvriers sans ouvrage ou on leur distribuait des bons de pain. Dans Les petites villes et les villages, c’est tantôt, comme à Boussac, une explosion d’enthousiasme qui s’exhale en accents dithyrambiques : « Le peuple de Paris est grand et admirable à jamais. Il vient d’ouvrir en trois jours une nouvelle ère à l’humanité. » C’est tantôt, comme en Alsace, une ruée instinctive contre les usuriers juifs, ou, comme en plusieurs régions, un retour