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LA RÉPARTITION


CHAPITRE X


LE RÉGIME DE LA PROPRIÉTÉ ET LES IMPÔTS


La distribution de la richesse dans un pays ne change guère en quatre ans, à moins d’un bouleversement profond des fortunes et de la hiérarchie sociale. On sait qu’il n’y eut rien de tel en 1848. Mais elle peut être modifiée de façon directe par des changements apportés au régime légal de la propriété ou indirectement par l’impôt.

Le premier procédé a été peu employé sous la Deuxième République. Le régime de la propriété a été discuté, menacé ; mais il a été défendu à outrance et il a tenu ferme comme un roc. Il y eut cependant quelques atteintes au droit de propriété tel qu’il existait. Au nom de la dignité humaine, il lui fut interdit de s’étendre désormais sur les personnes. Les esclaves passèrent du rang de choses au rang d’hommes. Ce ne fut pas sans doléances de la part des maîtres. Le Gouvernement provisoire fut accusé d’avoir ruiné les colonies, et il est bien certain que là comme partout ailleurs la transition d’un mode de travail à un autre fut pénible. On accorda aux colons la compensation qu’on refusait aux travailleurs passant du travail à la main au travail mécanique. La loi du 30 avril 1849 leur alloua une indemnité de six millions en titres de rente et de six millions en numéraire, sommes sur laquelles on prélevait de quoi établir une banque de prêt et d’escompte à La Réunion, à la Martinique et à la Guadeloupe. De plus le sucre venant des colonies fut exempté détaxes ; mais on ne revint pas en arrière Il fut acquis que nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves, comme disait le décret du Gouvernement provisoire. J’ai montré comment la personne des débiteurs ne profita que momentanément d’une émancipation analogue.

Quant à la propriété foncière, à peine si l’on peut signaler l’interdiction des majorais à deux degrés, qui étaient des domaines inaliénables constitués au profit des aînés des familles nobles. Encore ne faut-il pas y voir un pas dans la voie démocratique ; c’était plutôt, comme l’abolition décrétée des titres de noblesse, l’achèvement de la victoire remportée en 1789 et en 1830 par la bourgeoisie, un moyen d’empêcher la propriété féodale de se reformer. Un autre projet de loi atteignit la propriété de main-morte, celle des établissements et sociétés, qui, ne mourant jamais, acquièrent sans cesse et sans cesse grossissent la somme de leurs biens : tels étaient les hospices, les séminaires, les fabriques, les congrégations religieuses. Grévy, en qualité de rapporteur, fit remarquer que la masse de ces biens est retirée