Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homogène qu’un amalgame incohérent et tiraillé où les dissidences sociales étaient plus fortes que les affinités politiques.

Quoi qu’il en soit, le résultat de cette journée fut trouble. En un sens, défaite populaire, car les partis républicains représentés au pouvoir se séparaient de leur avant-garde, opération toujours périlleuse ; ils commençaient la réaction contre ceux qui avaient, autant et plus qu’eux, contribué à fonder la République ; ils rejetaient dans l’opposition des hommes actifs, entreprenants, audacieux ; ils les ramenaient aux complots ténébreux et aux coups de main. On prétend que Blanqui et ses amis rêvèrent d’enlever Lamartine dans la nuit qui suivit. Mais en même temps, victoire populaire apparente : car les demandes du peuple étaient acceptées ; si le Gouvernement, pour ne pas paraître céder à une menace, ne s’engageait pas sur l’heure à reculer les élections, il laissait entendre qu’il y était résigné ; mais il les ajournait seulement de quelques jours, accordant un semblant de satisfaction à la lettre, non à l’esprit de la pétition. Quant à la question des troupes, le Gouvernement, par la bouche de Lamartine, protestait qu’il n’avait point pensé à les rapprocher de Paris. ; « Nous n’y avons pas songé, nous n’y songeons pas, nous n’y songerons jamais….. La République ne veut, à l’intérieur, d’autre défenseur que le Peuple armé. » Protestations solennelles et vaines, auxquelles Lamartine, faible jusqu’à la duplicité devait infliger quelques jours après un lamentable démenti, en pressant la rentrée à Paris de plusieurs régiments ; en dressant, avec le général Négrier, commandant l’armée du Nord, un mystérieux plan de campagne et de répression ; en travaillant, avec Marrast, à faire de l’Hôtel de Ville un vrai camp retranché.

Le 17 mars fut la journée de Louis Blanc, comme le 25 février avait été celle de Lamartine. Le socialiste, comme le poète, crut avoir sauvé la société, et il n’hésita pas à écrire plus tard que c’était « la plus grande peut-être de toutes les journées historiques dans la mémoire des hommes ». La vérité est qu’elle donna, pour quelques jours, dans le Conseil une prépondérance marquée aux membres de la minorité, qu’elle amena l’abolition de l’impôt sur les boissons, qu’elle valut aux ouvriers du Luxembourg la visite du Gouvernement ; mais aussi qu’elle inquiéta et acheva de réveiller la bourgeoisie. La bataille avait été imminente. « Ce ne fut qu’une alerte, dit Maxime Du Camp ; mais elle eut cela de bon qu’elle nous mit en haleine. »

Le conflit persistait, en effet, dans le Gouvernement, où les débats et les soupçons mutuels devinrent si vifs que certains membres déposaient des pistolets chargés sur la table du Conseil. Intrigues de tout le monde contre tout le monde. Police et contre-polices se surveillant secrètement. L’effort des modérés consiste alors à détacher des socialistes, Louis Blanc et Albert, les radicaux qui formaient tampon entre les deux groupes extrêmes, Ledru-Rollin et Flocon. Lamartine est l’agent le plus actif de cette désagrégation. Pour prendre sa revanche de l’inquiétude et de l’humiliation que lui a causées le triomphe de Louis Blanc, il caresse, flatte, séduit Ledru-Rollin. Il voit en secret les chefs de clubs et de sectes qui