Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/56

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d’avoir partagé « l’ignorance de la plupart des hommes politiques sur plusieurs des questions sociales qui occupent aujourd’hui une si grande et si juste place dans les préoccupations du pays », et il a nom Montalembert. Des royalistes de marque prononcent gaillardement l’oraison funèbre de la monarchie. Gentilshommes, généraux, magistrats protestent de leur amour de la République. Et l’on est envahi, quand on compare les engagements des candidats soit à leur passé, soit à leur avenir, d’un certain mépris de l’espèce humaine, d’une pitié attristée aussi pour les bonnes gens qui se laissaient piper par ces paroles dorées. Quel monument de la versatilité politique que le recueil de ces promesses si bruyamment faites et si vite oubliées !

Il est impossible de faire rentrer dans les cadres rigides de partis nettement délimités ces innombrables et verbeuses candidatures, où la ressemblance extérieure n’empêche pas des différences de fond très sensibles ; ce qui s’en dégage pourtant, c’est le conflit de deux vastes groupes d’intérêts et d’opinions ; d’un d’un côté, sous la direction du parti catholique, tous les ralliés de la République unis aux monarchistes ; de l’autre les démocrates et les socialistes.

Les catholiques sont ceux qui mènent vraiment la bataille. Sans compter l’organisation ecclésiastique qui permet aux évêques de se concerter incessamment avec les curés et les vicaires, ils ont des comités de défense qui, dans chaque département, fonctionnent depuis plusieurs années ; ils ont un comité central qui relie toutes leurs forces éparses ; ils ont un journal : l’Élection populaire, qui, deux fois par semaine, répand en province les instructions des chefs. Montalembert, pape laïque de l’Église de France, fait adopter une tactique singulièrement habile. Pas d’attaques contre la forme républicaine du gouvernement ; l’important est ce qu’on mettra dans cette forme vide. Or ce qu’il faut y mettre, c’est une âme catholique, à savoir la liberté de l’enseignement pour l’Église, la liberté des évêques et des Conciles dégagés des liens du Concordat, et en même temps le maintien du budget des cultes, considéré comme garantie de cette liberté. Pour atteindre ce but, ne pas se soucier si les candidats sont orléanistes, légitimistes ou républicains ; appuyer tous ceux qui accepteront le programme résumé en deux points : défense sociale et religieuse. Ne pas multiplier les candidatures ecclésiastiques qui peuvent effaroucher. Montalembert et les évêques voient avec quelque inquiétude de nombreux prêtres se présenter comme républicains démocrates ; ils craignent évidemment de voir contrariée par ces membres du bas clergé, dont quelques-uns rêvent une réforme de l’Église même, l’évolution commencée qui ramène le catholicisme à son antique fonction de citadelle de la réaction européenne.

Les catholiques ont donc rarement des listes particulières ; en tout cas elles ne sont jamais exclusives. Ils font alliance, dans l’Ouest, avec les légitimistes ; dans le Nord avec les républicains modérés. Partout les rapports de police signalent « l’activité prodigieuse » du clergé. En Vendée, le commissaire du Gouvernement lui reproche de menacer les femmes des flammes éternelles, si elles ne font pas