Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/130

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L’or de l’Angleterre, on l’a vu, figurait dans toutes les attaques dirigées contre la République française ; il payait Quiberon, il payait le prince de Condé, il payait l’Autriche, il payait l’intrigue avec Pichegru. Mais si le gouvernement de George III entretenait l’état de guerre, poussé par ceux qui en bénéficiaient, par l’aristocratie de la banque, du commerce, de l’industrie, cela ne rapportait à la masse populaire que suppléments de taxes sans compensation ; et l’opposition recruta, dans l’entourage même de Pitt, quelques adhérents. C’est le beau-frère de Pitt, le comte Stanhope, qui, le 6 janvier 1795, présenta à la Chambre des lords une motion contre toute intervention dans les affaires intérieures de la France ; justifiée par son auteur en termes très élevés, cette motion n’obtint que sa voix contre 61. C’est l’intime ami de Pitt, Wilberforce, qui, le 27 mai, à la Chambre des communes, demanda que l’Angleterre fît la paix avec la France à des conditions honorables ; soutenue par Fox et combattue par Pitt, cette proposition fut repoussée par 201 voix contre 86. Le parti de la guerre triomphait et devait malgré tout triompher, même si la proposition Wilberforce avait été votée, étant donnée la prépondérance dans notre milieu gouvernemental, depuis le 9 thermidor, des idées d’annexion. Comme Pitt l’avait dit à la Chambre des communes le 1er janvier précédent (Moniteur du 5 pluviôse an III-24 janvier 1795) : « Quelle paix pourrions-nous obtenir ?… Nous conseillera-t-on d’abandonner aux Français les Pays-Bas autrichiens ? non, sans doute » ; il n’y avait qu’un moyen d’après lui de conclure sérieusement la paix : « Forcez les Français à rentrer dans les bornes de leur propre territoire ».

Après ce qui a été dit plus haut au sujet des frontières naturelles et après ces paroles de Pitt, on peut comprendre pourquoi la France allait se trouver condamnée à la guerre tant que la condition sine qua non de la paix serait, pour les gouvernants français, l’annexion jusqu’au Rhin, cette même condition, de ce côté tout au moins, étant, pour les gouvernants anglais, devenus l’âme de la coalition : point d’annexion. Laisser à la France les « Pays-Bas autrichiens », autrement dit la Belgique, c’était consentir à ce que, avec le port d’Anvers et cette extension de ses côtes et de sa flotte sur la mer du Nord, elle isolât davantage les Îles Britanniques du continent ; l’Angleterre ne pouvait accepter cette situation, et encore évidemment d’une manière provisoire, que réduite à la dernière extrémité.

En outre de l’échec, déjà mentionné (chap. viii), de Villaret-Joyeuse dans l’Océan, il y eut quelques rencontres navales. Martin, nommé vice-amiral, avait repris la mer en prairial an III (juin 1795) et croisait sur les côtes de Provence, afin de protéger l’arrivée de convois. Dans une reconnaissance, le 6 messidor (24 juin), la frégate la Minerve fut capturée par les Anglais après une vaillante défense et, le 25 (13 juillet), eut lieu entre les deux flottes, à la hauteur des îles d’Hyères, un combat qui ne nous fut pas favorable ; un navire français, l’Alcide, prit feu et sauta pendant une auda-