Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/138

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vent se tromper et se trompent, c’est évident ; mais est-ce que, par hasard, les membres du jury de celui-ci ou de la cour de celui-là seraient infaillibles ? Qui oserait décemment garantir que leur interprétation de la Constitution ou de la Déclaration des Droits de l’Homme serait la bonne ? Et si on est dans l’impossibilité de prouver l’infaillibilité du corps, quel qu’il soit, chargé de faire la loi au législateur faillible, pourquoi la création de ce corps ? Pourquoi ? oh ! c’est bien simple : parce que les adversaires de la démocratie n’osant pas s’attaquer ouvertement au suffrage universel et n’ayant cependant qu’une préoccupation qui est de l’annihiler le plus possible, cherchent par des détours à restreindre, c’est-à-dire à supprimer, la souveraineté nationale directe. Pour ceux qui sont véritablement respectueux de cette souveraineté et qui pensent que le suffrage universel doit être le seul maître, il n’y a, après la représentation proportionnelle des minorités, qu’un contrepoids admissible à la volonté exprimée par la majorité des élus du suffrage universel, c’est la volonté propre du suffrage universel lui-même exprimée par voie de référendum. Hors de là, il n’y a qu’hypocrites manœuvres pour imposer à la majorité démocratique le despotisme d’un homme ou d’une oligarchie.

La nouvelle Constitution débutait, elle aussi, par une « Déclaration des Droits » à laquelle était ajoutée, en guise, a écrit Thibaudeau (Mémoires, t. Ier, p. 180), « de commentaire ou de contrepoison », une « Déclaration des Devoirs » qui portait (art. 8) : « C’est sur le maintien des propriétés que repose… tout l’ordre social ». Or, dès l’instant que le droit nominal de tous à la propriété n’était pas pour tous une réalité, un tel article signifiait simplement que la préoccupation capitale des gouvernants devait être d’obtenir des non propriétaires le respect d’un régime de propriété dont ils se trouvaient exclus et dont les bénéfices appartenaient à d’autres ; le mieux était, dès lors, de restreindre le plus possible l’action des non propriétaires dans les affaires publiques et voici ce qu’on imagina.

Il fallait, pour être citoyen, payer une contribution directe, foncière ou personnelle ; en étaient dispensés ceux, ajoutait-on vaguement, « qui auront fait une ou plusieurs campagnes pour l’établissement de la République », seulement, à partir de l’an XII (1803-1804), « les jeunes gens » n’auraient été admis qu’après avoir prouvé, en outre, qu’ils savaient « lire et écrire et exercer une profession mécanique » ; les conditions supplémentaires de savoir lire et écrire, alors que l’instruction n’était pas gratuite, ne pouvaient qu’accroître encore le privilège de la bourgeoisie. Pour être éligible, il fallait détenir en qualité de propriétaire, d’usufruitier, de locataire, de fermier ou de métayer, un bien d’une valeur déterminée. Avec le cens, fut rétabli le suffrage à deux degrés qu’avait supprimé la Constitution de 93. Les citoyens domiciliés dans chaque canton formaient les « assemblées primaires » ; celles-ci, dont chacune devait comprendre au maximum 900 citoyens, élisaient de 1 à 4 électeurs suivant le nombre de leurs membres ; elles élisaient aussi le juge de paix, ses assesseurs,