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La Revellière (Mémoires, t. Ier, p. 295), « de s’emparer de tous les emplois créés par elle, afin de la renverser à coup sûr », donna à réfléchir à celle-ci : ses membres se demandèrent avec anxiété ce qu’ils deviendraient s’ils n’étaient pas réélus, si les royalistes, qui ne cachaient plus leurs sentiments à leur égard, l’étaient à leur place, et le souci de leur intérêt personnel développa leur ingéniosité. De ce que la nouvelle Constitution n’admettait que le renouvellement par tiers du Corps législatif, soit l’élection de 250 membres chaque année sur les 750 composant les Cinq-Cents et les Anciens, les représentants modérés conclurent qu’il y avait lieu d’élire 250 membres nouveaux seulement et que 500 Conventionnels — les deux tiers du Corps législatif — devaient être maintenus dans les Conseils ; c’est ce qu’un rapport de la Commission des Onze, sur les moyens de terminer la révolution, proposa le 1er fructidor (18 août).

À cette nouvelle, il y eut chez les royalistes une explosion de fureur ; ceux qu’ils tenaient tant avoir partir allaient rester ! Il est évident, d’ailleurs que c’était raide. Les modérés auraient mieux fait de ne pas créer, par leurs égards pour les royalistes et par leurs rigueurs pour les républicains avancés une situation devenue dangereuse pour eux-mêmes. Ils auraient mieux fait, cette faute commise et le péril des menées royalistes reconnu par eux, de se servir de la loi pour enrayer immédiatement ces menées et arracher le corps électoral à sa dépression. Ils préférèrent ne songer qu’à eux. Par le décret du 5 fructidor (22 août), le choix des 500 Conventionnels conservés était laissé aux assemblées électorales ; mais ne comptaient point parmi les éligibles les représentants « décrétés d’accusation ou d’arrestation », c’est-à-dire les Jacobins et les Montagnards. Le décret du 13 fructidor (30 août) détermina le mode d’élection des 500 modérés imposés ; si ce nombre n’était pas atteint par les choix des assemblées électorales, il devait être complété par ceux des Conventionnels que ces assemblées auraient réélus. Une proclamation du 13 fructidor (30 août) invita les assemblées primaires à voler, le 20 (6 septembre), sur ces deux décrets comme sur la Constitution.

Les royalistes avaient entrepris contre ces décrets une campagne des plus violentes. Leurs écrivains se concertaient et agissaient avec ensemble sur l’opinion publique ; aux journaux s’ajoutaient les pamphlets et les placards. Avec le cynisme habituel de leur parti qui masque presque toujours son but réel derrière des boniments de circonstance, ils se posaient en défenseurs de la souveraineté du peuple, dont le retour de leur roi devait entraîner la disparition. Mais le peuple était indifférent à tout en dehors de la question des subsistances : depuis les événements de Prairial, la distribution journalière de pain n’avait été que de six à huit onces par personne ; à partir du 6 fructidor (23 août), elle fut de douze onces, seulement le pain était de mauvaise qualité. Les royalistes cherchèrent à exploiter le mécontentement populaire et, suivant un mot superbe de Babeuf (n° 34 du Tribun du Peuple), à dé-