Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/256

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l’eau » et « la filature par mule-jenny mise en action » de cette même manière ou « conduite à la main ». Le fabricant préférait le mode de préparation arriéré, parce que le coton lui revenait ainsi un peu meilleur marché — sans doute à cause des bas salaires qui sont un obstacle au progrès — que le coton filé au mule-jenny. Au contraire, dans son Essai sur le perfectionnement des arts chimiques, cité tout à l’heure et publié, on le sait, à la fin de 1799, en même temps qu’il se plaignait que l’ouvrier put imposer une augmentation de salaire — ce qu’il ne pouvait plus sous l’Empire, en 1806 — Chaptal estimait que « l’économie introduite dans les fabriques de coton par l’adoption des mécaniques pour la filature… a été constamment de 10 à 15 pour 100 »(p. 72). Le document d’Amiens ajoutait que, dans les « 600 000 kilos de coton filé » employés annuellement par les fabriques d’Amiens, « il n’entre pas le quart de coton filé par les grands établissements de filature ».

Pour le filage des autres matières textiles, on était beaucoup moins avancé que pour le coton ; d’une manière générale, en 1806, nous apprend le document d’Amiens que je viens de citer, « la laine, le chanvre et le lin » sont « encore aujourd’hui » filés au rouet. Voyons, cependant, les tentatives faites. Pour la laine, la Décade philosophique (t.VI, p. 335) nous apprend que Kaiser avait imaginé, en l’an III, un métier mû par un poids descendant fort lentement et qu’il suffisait de remonter lorsqu’il était en bas, comme dans les anciens modèles d’horloges et de tournebroches. La même revue (t. XXI, p. 496) mentionne un rapport du 15 prairial an VII (3 juin l799) sur un nouveau procédé de Kaiser et Délié pour carder et filer la laine d’après le système des filatures anglaises de coton. Un nommé Heyer traita avec les inventeurs et forma à l’Isle-Adam (Seine-et-Oise) une manufacture où une livre de laine était convertie en un fil de 18 kilomètres, tandis qu’on n’était encore arrivé en France, pour cette même quantité, qu’à 7 ou 8 kilomètres, et en Angleterre à 12 environ. Malgré cette tentative et quelques autres de même nature négligeant généralement trop la préparation de la laine avant l’opération du filage proprement dit, ce n’est qu’avec Douglas (Bulletin de la Société d’encouragement, ans XII et XIII-1804 et 1805), au début du xixe siècle, qu’on eut en France un assortiment de machines qui fit perdre du terrain à la quenouille et au rouet mû au pied ou même à la main ; le « rouet à compte » indiquait en combien de tours de rouet était épuisée une livre de laine (Forestié, Notice citée au début du paragraphe, p. 43).

Pour le lin, d’après Poncelet dans son étude sur les Machines et outils appliqués aux arts textiles (rapport sur l’Exposition universelle de Londres en 1851), Demaurey (p. 153), d’Incarville, près de Louviers, « est regardé comme le premier qui, dès l’époque de 1797, ait entrepris d’une manière sérieuse en France de composer un système de machines propres à » le filer. Delafontaine appliqua ce système au lin et au chanvre dans un établissement ormé à la Flèche en 1799. Le 23 germinal an VI (12 avril 179S), William