Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/324

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tait pas limitée à une période de lutte à main armée, mais comportait, en outre, la participation au pouvoir, après la victoire, des démocrates bourgeois et des socialistes.

Le 19 floréal (8 mai), chez Drouet, 93, rue Saint-Honoré, près de la place Vendôme, on s’entendit définitivement et l’acte d’insurrection mentionné plus haut fut approuvé par les représentants des deux comités réunis. À peine venaient-ils de se séparer, vers onze heures du soir, que le ministre de la police Cochon, à la tête d’un détachement d’infanterie et de cavalerie, cernait la maison et procédait illégalement — Drouet étant député — à une visite domiciliaire infructueuse ; d’après un billet de Carnot à Cochon (Archives nationales, F7, 4 276), le gouvernement avait « manqué », la veille, un « coup » du même genre. Voici le texte de ce billet :

« 19 floréal an IV. — Le coup qui nous a manqué hier soir, citoyen ministre, peut avoir aujourd’hui un plus grand succès. Tous les conjurés doivent se réunir dans une même maison qui nous est connue. Faites tenir prêts, et le plus secrètement possible, 150 hommes de troupes sûres pour pouvoir marcher vers onze heures du soir. Je ferai en sorte que mon frère puisse vous voir avant, afin de se concerter avec vous. Salut et fraternité. — Carnot. »

Du reste, dans sa déposition, le 23 ventôse an V (13 mars 1797), Grisel raconta ce « coup » (Débats du procès, t. II, p. 104). Il était allé, le 18 floréal (7 mai), prévenir le Directoire qu’une nouvelle réunion des Égaux et des anciens Conventionnels devait se tenir le soir, 5, rue Saint-Florentin, chez le citoyen Ricord : « Le Directoire fut sur pied toute la nuit dans l’attente de l’issue de cette affaire. On rapporta qu’on n’avait vu personne, qu’on s’était présenté, qu’on avait dit que le citoyen Ricord n’y était pas et qu’alors la troupe s’était retirée ».

Grisel assistait à la réunion du 19 chez Drouet ; il s’était montré là comme toujours, suivant l’expression de Buonarroti (t. Ier, p. 178), « le démocrate le plus outré et le plus impatient » ; il pressait ses collègues, aplanissait les difficultés que ceux-ci signalaient et avait raison de leurs hésitations en leur certifiant le dévouement à leur cause des troupes du camp de Grenelle. Or, quatre jours avant cette réunion, le 15 floréal (4 mai), il avait dénoncé la conspiration à Carnot, alors président du Directoire, à qui, ainsi qu’il le raconta au procès (Débats du procès, t. II, p. 93), il avait écrit en signant « Armand », dès le 13 (2 mai). Déjà, le gouvernement se doutait de quelque chose ; les papiers conservés aux Archives nationales (W 3 563) ne permettent à cet égard aucun doute. Une lettre du 12 floréal (1er mai) de Reubell au ministre de la police et un rapport de police du 17 (6 mai), par exemple, prouvent que des indiscrétions avaient été commises et rapportées. D’autre part, Barras avait, le 30 germinal (19 avril), provoqué une entrevue avec Germain qui avait fait prévenir Babeuf de la chose et qui lui rendit