Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traité ne comportant aucun échange de territoires, contrairement aux instructions du Directoire qui désirait obtenir la Sardaigne contre une compensation en Italie, et qui refusa de ratifier ce traité (Guyot et Muret, Revue d’histoire moderne et contemporaine, 15 février 1904, p. 319). Les négociations recommencèrent et, par une convention préliminaire secrète conclue à Turin le 15 germinal an V (4 avril 1797), le roi de Sardaigne s’engageait à céder à la France, lors de la paix générale, l’île de Sardaigne, à la condition de recevoir sur le continent italien un territoire à sa convenance de nature à le dédommager de cette cession et à lui procurer un titre équivalant à celui de roi de Sardaigne. Par le traité public signé le lendemain, 16 germinal (5 avril), une alliance offensive et défensive était conclue entre les deux parties contractantes contre l’empereur et, jusqu’à la paix, à partir de laquelle l’alliance deviendrait purement défensive, le roi de Sardaigne devait fournir à la France un contingent de 9 000 hommes.

Ainsi que nous l’avons déjà vu (chap. xiv), Venise avait persisté à ne pas s’allier à la France contre l’Autriche ; mais Bonaparte ayant continué à ne tenir aucun compte de sa neutralité et à lui chercher querelle, le gouvernement vénitien, poussé à bout, serait très probablement entré en ligne contre la France si l’archiduc Charles avait été victorieux. Dans l’État vénitien, comme dans les autres États de l’Italie, existait à ce moment un parti démocratique en opposition avec l’aristocratie dirigeante. Tandis que ce parti, encouragé par les agents français, se soulevait en certains endroits, par exemple, à Bergame le 22 ventôse (12 mars), le 27 et le 28 (17 et 18 mars) à Brescia, on fabriquait, le 2 germinal (22 mars), un manifeste faussement signé des autorités vénitiennes, excitant la population à se débarrasser des Français. Or c’était à l’instigation de Bonaparte que cette « imposture infamante » (Edmond Bonnal, Chute d’une République, Venise, p. 144-146) avait été commise, que ce « manifeste frauduleux » avait été rédigé et répandu : de même que les traditions cléricales et monarchiques — nous en avons rencontré de fréquents exemples — la tradition napoléonienne prédispose donc ses fidèles à la pratique ignominieuse du faux et à sa scandaleuse glorification. C’est que Bonaparte, sachant ou pressentant que l’Autriche convoitait les territoires vénitiens, songeait à la dédommager de ce côté de ce qui lui serait enlevé ailleurs ; ne pouvant, dans un traité public, disposer de ce qui ne lui appartenait pas, il s’attachait à faire naître une occasion lui permettant d’abord de le prendre pour en disposer ensuite ; il avait besoin que Venise fût coupable, seulement Venise se dérobait à cette culpabilité désirée en lui cédant toujours, et cela se reproduisit encore lorsque, s’appuyant sur le document apocryphe, il fit lire, le 20 germinal (9 avril, par Junot, au doge et à son conseil, une lettre d’insolente provocation.

En lançant le faux qui appelait le, peuple aux armes contre les Français, il se supposait assez fort pour empêcher ces excitations de se traduire en