Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/409

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Le tsar voyait de mauvais œil, nous l’avons dit, les sympathies du Directoire pour les réfugiés polonais et devait en arriver, sous l’impulsion de Thugut, à soupçonner le gouvernement français de tendre à la reconstitution de la Pologne. Aussi, à la fin de 1797, un an après son avènement, il prenait à sa solde Condé et l’armée des nobles émigrés, si étrangement patriotes et nationalistes, abandonnés par l’Autriche après Leoben ; au début de 1798, il donnait asile à Louis XVIII et peu à peu manifestait contre la France des sentiments d’une hostilité plus agissante ; ce faisant, il obéissait surtout aux habiles suggestions des agents anglais qui, nous le verrons dans le chapitre xix, § 1er, obtinrent, pour l’Angleterre, le 22 avril 1798, l’appui de la marine russe.

Le frère aîné de Bonaparte, Joseph, avait été nommé, le 26 floréal an V (15 mai 1797), ambassadeur de la République française à Rome. Le 8 nivôse an VI (28 décembre 1797), sous prétexte d’un rassemblement populaire que des agents provocateurs avaient contribué à former afin de fournir aux autorités papales le moyen de frapper les démocrates romains, les soldats du pape tirèrent sur une foule désarmée : « l’attitude du gouvernement romain demeure injustifiable ; elle ne peut s’expliquer que par la trahison ou la faiblesse, par toutes les deux peut-être ». (Ernouf, Nouvelles études sur la Révolution française, année 1798, p. 188). Le général Duphot qui se trouvait à Rome auprès de sa fiancée, la belle-sœur de Joseph Bonaparte, fut tué et son cadavre dépouillé ; le curé de la paroisse, en particulier, s’adjugea la montre (Gaffarel, Idem, p. 231). Ses réclamations étant restées sans réponse, Joseph Bonaparte quitta la ville le lendemain. Les troupes françaises, sous les ordres de Berthier qui, nommé le 19 frimaire an VI (9 décembre 1797), général en chef de l’armée d’Italie, avait, le 2 nivôse (22 décembre), pris le commandement des mains de Kilmaine chargé de l’intérim depuis le départ de Bonaparte, marchaient bientôt sur Rome devant laquelle elles arrivaient le 21 pluviôse (9 février), sans avoir rencontré de résistance. Le 27 (15 février), la population proclamait la République. Le pape Pie VI eut beau multiplier les processions et annoncer des miracles, il n’en fut pas moins installé, le lendemain de l’arrivée de Masséna (2 ventôse-20 février), dans une chaise de poste et conduit d’abord au couvent des Augustins à Sienne ; il devait être plus tard (26 messidor an VII-14 juillet 1799) interné en France, à Valence, où il mourut le mois suivant (29 août) dans sa quatre-vingt-deuxième année. Le conclave pour la nomination de son successeur ne devait s’ouvrir qu’après le 18 brumaire, le 30 novembre 1799.

La constitution des États du pape en République romaine, sur le modèle de la République française, n’empêcha pas Rome d’être exploitée comme l’avaient été les autres cités italiennes. Le pillage auquel participèrent tout spécialement deux protégés de Bonaparte, l’administrateur général de l’armée d’Italie Haller et le commissaire ordonnateur en chef Villemanzy, avait