Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/424

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situation politique. Bonaparte, imité en cela comme en toutes ses ignominies par certains grands chefs nationalistes de nos jours, n’aimait aucune des fractions royalistes, non par amour de la République à l’exemple de Hoche, mais par ambition personnelle, parce que leur succès, en ramenant un roi, lui aurait enlevé la première place qu’il convoitait pour lui-même ; de plus, des royalistes, nous venons de le voir, l’avaient attaqué. Aussi, dans le conflit qui se préparait, était-il disposé à se prononcer de parti pris en faveur du Directoire. Il profita, de l’anniversaire du 14 juillet pour jurer, dans une proclamation retentissante adressée aux soldats, « guerre implacable aux ennemis de la République et de la Constitution de l’an III » (Correspondance de Napoléon Ier, t. III, p. 240), qu’il devait un peu plus tard renverser l’une après-l’autre. Il avait déjà fait partir pour Paris son aide de camp Lavallette qui, chargé d’édifier Barras sur ses intentions et de surveiller les événements, était arrivé à Paris en prairial-mai (Mémoires et souvenirs du comte de Lavallette, t. Ier, p. 223).

Conseillé par Lavallette, il comprit que la victoire qu’il était nécessaire de remporter sur les royalistes provoquerait de longs mécontentements ; que le Directoire, après s’être de nouveau appuyé sur les républicains avancés par peur des royalistes, se retournerait une fois de plus contre eux dès que les royalistes auraient été abattus. Il chercha, en conséquence, à assurer le triomphe du Directoire sans accomplir personnellement la besogne ; il tenait à n’hériter que des avantages de la situation, à voir le terrain déblayé par d’autres, de façon à pouvoir plus tard rallier autour de lui tous les mécontents. Sous prétexte qu’Augereau, bon soldat mais piètre cervelle, avait besoin de se rendre à Paris pour affaires personnelles, il le réexpédia au Directoire auquel il écrivit, le 9 thermidor (27 juillet) : « Il vous fera connaître de vive voix le dévouement absolu des soldats d’Italie à la Constitution de l’an III et au Directoire exécutif » (Correspondance de Napoléon Ier, t. III, p. 266). Enchanté, celui-ci, le 21 thermidor (8 août), nommait, en remplacement du général Hatry, Augereau commandant de la 17e division militaire qui comprenait Paris et les départements environnants ; l’armée de l’intérieur (chap. x, xii et xiii) était supprimée (arrêté du 8 fructidor an IV-25 août 1796) depuis le 1er vendémiaire an V (22 septembre 1796).

D’après les Souvenirs du baron de Barante (l. Ier, p. 45 et 46, note), Bonaparte qui avait déjà, nous l’avons vu tout à l’heure, avant les élections de l’an V, chargé Augereau de lui faciliter l’accès du pouvoir, aurait de nouveau compté sur lui pour être nommé membre du Directoire dès la réussite de l’opération en train : « Son projet était, aussitôt la paix signée, de s’en faire élire membre. Comme il n’avait que vingt-huit ans et que la Constitution exigeait quarante ans d’âge pour être nommé directeur, on devait proposer au Conseil des Cinq-Cents de déclarer éligible, par exception, le vainqueur d’Italie, le pacificateur. Le général Bonaparte peu en peine, une fois