Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/546

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royalistes, il l’était aussi par le roi lui-même. Louis XVIII reçoit du tsar à Mitau, outre le logement, « six cent mille francs par an. Mais cette somme ne représente qu’une partie de ce que les émigrés coûtent au Trésor russe. L’armée de Condé, les cent gardes du corps attachés à la personne du roi sont à la solde de la Russie » (Ernest Daudet, Les Bourbons et la Russie pendant la Révolution française, p. 179). Cette pension se grossit « d’un revenu de quatre-vingt-dix mille francs servi annuellement par l’Espagne, d’une autre rente que la cour de Madrid fait à la reine et dont, quand celle-ci vit près de son époux, elle lui abandonne la presque totalité » (Idem, p. 180). Malgré cela, Louis XVIII mendiait, le 8 avril 1799, un supplément à la fois auprès du tsar Paul Ier et auprès de Georges III, roi d’Angleterre. Il écrivait à ce dernier : « La générosité de Votre Majesté est trop connue, mes sujets malheureux et fidèles en ont trop ressenti les effets, je les ai trop éprouvés moi-même pour que j’hésite à y recourir de nouveau » (Idem, p. 355). D’après un royaliste du temps (Hyde de Neuville, Mémoires et souvenirs, t. I, p. 243), « le roi usait de son droit le plus légitime en recourant à l’argent de l’Angleterre pour remonter sur son trône. C’est l’emprunt que des souverains exercent entre eux, et qui ne peut frapper d’aucun impôt leur indépendance »… de cœur, doit-on ajouter, pour être exact ; il est vrai toutefois que le nationalisme du comte d’Artois consentait à dédommager les Anglais en leur livrant Cherbourg (Chassin, Idem, t. III, p. 303). Avec la même délicatesse de sentiment, les royalistes de nos jours attaquent l’Angleterre, « l’ennemie héréditaire », comme l’appelle leur chef après que lui ou les siens en ont accepté l’argent et l’hospitalité (Le Temps du 28 février 1900, 4e page).

Au moment de nos défaites, fut répandue une proclamation « aux braves royalistes de Bretagne ». Signée « Béhague », successeur, depuis le 9 mai 1798, de Puisaye, parti pour le Canada sur le refus opiniâtre du comte d’Artois de se mettre en personne à la tête d’une nouvelle insurrection royaliste, cette proclamation disait : « Déjà il [Dieu] a brisé le sceptre de fer dont ils [les soldats français] avaient frappé l’Allemagne, l’Italie, le Piémont, la Savoie, au nom de la philosophie, de la liberté et de l’égalité. Les armées triomphantes des alliés ont rendu aux peuples leur religion, leurs lois, leurs souverains légitimes, la paix et la tranquillité. Elles s’approchent de nos frontières pour nous offrir le même bonheur » (Chassin, les Pacifications de l’Ouest, t. III. p. 264). Les royalistes ont de tout temps crié : « Vive l’armée ! » Seulement, suivant les intérêts de leurs décavés toujours en quête d’une riche proie, l’armée flagornée par eux a été tantôt une armée ennemie et tantôt l’armée française. Qu’on ne vienne pas objecter à la décharge des royalistes de la fin du xviiie siècle que, pour eux, la France, la patrie, étaient là où était le roi. Cette thèse a pu être vraie à une certaine époque lointaine, elle ne l’est pas, malgré les trésors d’atténuations indulgentes qu’ont au profit de ce parti des gens si férocement impitoyables quand il s’agit de républicains, pour la période