Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/547

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qui nous occupe ; ce sont des royalistes qui vont en fournir la preuve.

Dans l’ouvrage cité plus haut de M. Ch.-L. Chassin (t. II, p. 478) se trouve, à la date du 29 thermidor an IV (16 août 1796), une supplique d’un émigré de marque, le comte de Bourmont, demandant à rentrer, préférant « la mort sur la terre de France » à la vie à l’étranger et, en faveur de sa demande, invoquant la « patrie ». Que ce fût un sentiment affecté par hypocrisie intéressée, cela ne paraît pas douteux ; mais l’affectation même de ce sentiment en impliquait la connaissance. Un autre royaliste insurgé, nommé Duviquet, condamné à mort le 1er messidor an VI (19 juin 1798), faisant des aveux avant son exécution qui eut lieu le jour même, disait : « Je suis décidé à être utile à ma patrie » (Idem, t. III, p. 170) ; pour celui-là encore, il y avait donc autre chose que le roi. Enfin, le général commandant la place de Besançon ayant consenti, d’après une communication faite à Louis XVIII le 19 mai 1799 (Ernest Daudet, les Émigrés et la seconde coalition, p. 359), à livrer cette place à l’armée ennemie pour le compte du roi, ajoutait que, du reste, « quand il serait aussi patriote qu’il est dévoué au roi, il ne pourrait tenir que vingt-quatre heures ». En voilà encore un qui distinguait très nettement l’amour de la patrie de l’amour du roi et ne péchait pas par ignorance ou fausse conception. Ces gens-là ont été des traîtres. Sans doute, on ne doit pas reprocher aux fils les crimes des pères ; mais ce qui condamne leurs descendants, les charlatanesques exploiteurs actuellement d’un patriotisme dont ils n’ont pas reçu la tradition, c’est qu’au lieu de garder le silence, ils s’évertuent à justifier, que dis-je, à glorifier ceux qui ont fait sciemment tous leurs efforts pour livrer leur pays aux armées étrangères et en l’honneur desquels de cyniques monuments ont pu être dressés sur le sol de la France !

Tandis que les armées républicaines étaient vaincues, les royalistes exultaient, multipliaient les intrigues et les infamies ; tous les appétits grouillaient, prêts à se jeter sur la France dès qu’elle serait envahie. Louis XVIII négociait à cet effet avec les coalisés, avec Dumouriez, par l’intermédiaire duquel il semble qu’un rapprochement se soit opéré à cette époque entre lui et les d’Orléans (voir lettre du 17 août 1799, p. 277, t. II, Dubois-Crancé, par Iung), avec Pichegru, qui devait pénétrer dans l’Est, avec Willot, qui se chargeait du Midi ; faut-il ajouter avec Barras ? Je ne le pense pas, malgré l’ignominie du personnage, malgré les « lettres patentes » (Mémoires de Barras, t. III, p. 501) dont on a si souvent parlé, pièce sans date qu’avait écrite Louis XVIII lui-même à la fin de 1798, qui fut ensuite datée du 10 mai 1799, et par laquelle il promettait à Barras, si celui-ci contribuait à le mettre sur le trône, dix millions en espèces et l’oubli du passé. Il semble n’y avoir eu là qu’un projet en l’air, conçu sans l’intervention de Barras, par des agents royalistes désireux de se faire valoir et accepté sans sérieuses informations par l’entourage crédule de Louis XVIII. En tout cas, lorsque Fauche-Borel, signant « Frédéric Boully », écrivit de Wesel directement à Barras en sep-