Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/559

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est faux de dire, avec Michelet, que « la terreur de Babeuf fit Bonaparte autant que ses victoires, c’est-à-dire que le socialisme naissant, par sa panique, a fait le triomphe du militarisme » (Histoire du XIXe siècle, t. I, p. x). D’abord, il faut vraiment être aveuglé par une idée préconçue pour mettre en avant « la terreur de Babeuf », alors que, après Babeuf, après le rappel furieux de son nom et de ses idées par les modérés contre leurs adversaires dénoncés, en l’an VI, comme les ennemis de la propriété (fin du chap. xvii), le pays électoral, dont étaient exclus les non possédants, avait, en l’an VI et surtout en l’an VII, donné la majorité à de nombreux républicains ainsi dénoncés et, comme manifestation de la terreur qu’ils inspiraient, cela laisse plutôt à désirer. Ensuite, la réaction modérée avait commencé avant la première expression du socialisme de Babeuf, et on ne trouve pas un seul fait imputable à ce dernier dans les diverses causes de croissance du militarisme, qui ont été, à l’extérieur, la guerre de conquêtes et de rapines, la guerre d’affaires, substituée à la guerre défensive ; à l’intérieur, la prépondérance donnée à l’élément militaire par le rôle décisif qu’il eut à jouer, au point de vue politique, le 13 vendémiaire et, principalement, le 18 fructidor. Or si, dans ces deux circonstances, le pouvoir civil des républicains modérés dut demander son salut à la force armée, ce fut pour avoir raison du parti royaliste, auquel ils avaient, en s’appuyant sur les soi-disant ralliés de l’époque et en les favorisant par haine de tout ce qui amoindrissait tant soit peu les avantages personnels de leur coterie, criminellement permis de se fortifier aux dépens de la République. « Fructidor, a dit M. Méline, le 21 avril 1900 (Le Temps du 23), sera toujours la préface de Brumaire » ; c’est faux sous cette forme absolue et baroque. « Fructidor, a dit plus correctement dans la forme et dans le fond M. Paul Deschanel, rendant, le 22 décembre 1901 (Le Temps du 23), hommage à Alphonse Baudin, Fructidor avait préparé Brumaire » ; mais, venant de dire « que tous les coups de la force… sont des effets, non des causes », il n’aurait pas dû se borner à expliquer le coup de force de Brumaire par le coup de force de Fructidor, il aurait dû — et c’est là le point important — rechercher ce qui avait préparé celui-ci ; il aurait vu que ce qui avait imposé le 18 fructidor à des modérés eux-mêmes, tels que Benjamin Constant (chap. xvii, § 1er), c’avait été un gouvernement à la Méline s’acoquinant à servir les partis de droite et, plus ou moins sciemment, leur livrant la République qu’il avait fallu ensuite, par le seul moyen à la portée des modérés, soustraire aux scélérates entreprises de ceux dont ces modérés avaient fait la puissance : si les généraux étaient passés au premier plan, c’est que les modérés, par leur politique intérieure et extérieure, avaient contribué à les y mettre à un moment où les hommes politiques capables et influents avaient disparu.

D’autre part, cette attitude maladroite de Bach et des Jacobins a certainement pu faciliter l’adhésion de certaines catégories sociales importantes